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Foccart Et Les Réseaux de La Francafrique

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Les « Réseaux Foccart » :
Piliers De La « Françafrique » ?

Introduction

Depuis le début de la décolonisation de l’Afrique après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la France a toujours su garder depuis plus de 50 ans une politique de maintient de ses anciennes colonies. En effet, les intérêts de cette politique y sont nombreux. Tout d’abord, c’est peut être parce que la France partage une histoire commune avec ses anciennes colonies. Elle n’aurait pas le droit de se désintéresser du sort d’un continent dont elle a si durablement influencé le destin depuis une brève colonisation dès le XVIIe siècle. De suite, elle y trouve un surplus de puissance géographique. Ne la limitant pas aux seules frontières de l’hexagone, la France accède alors au statut de grande puissance qui peut compter sur le soutient de ses anciennes colonies dans les organisations internationales, et maintenir la résistance à la domination universelle de la langue anglaise et de la culture américaine. Mais le plus important de cette politique n’est pas là. L’intérêt de la France pour l’Afrique s’expliquerait bien évidemment par ses intérêts économiques qu’elle y trouve. Elle y exporte des biens de consommation courante et des biens d’équipement et y dégage des excédents commerciaux confortables. Mais vient un moment où l’Afrique se rebelle et souhaite son indépendance vis-à-vis de ses dirigeants de la métropole. C’est alors que la France innove. Dans le contexte de la Guerre Froide, elle parvient à mettre en place un réseau de dirigeants africains en lien permanent avec l’Elysée, où parler du nom de Jacques Foccart, c’est parler de ces réseaux de relations privilégiées avec la France ou de « Françafrique » pour reprendre l’expression de l’ancien président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, où accéder à l'indépendance est ici synonyme de dépendance politico-économique qui a su scellé le destin des anciennes colonies françaises. Cette étude se consacre à la question suivante ; jusqu’où la France s’est engagée en Afrique pour subvenir à ses besoins économiques sans altérer les soupçons de la métropole ? Et jusqu’où Jacques Foccart et ses partenaires gaullistes se sont investis pour contenir cette Afrique sous les ordres de l’Elysée ? Il n’est pas question ici de salir l’homme indéniablement courageux et fidèle à la France qu’était Jacques Foccart mais bien de comprendre sa montée en puissance dans ces réseaux qu’il a contribué à mettre en place et qui portaient le germe des missions que la France lui confia.

I) La montée en puissance de Jacques Foccart. a) Biographie. Né en 1913, Jacques Foccart participe à la Seconde Guerre Mondiale, à Londres dans les services spéciaux, et devient rapidement le responsable de la Résistance dans quatre départements, la Mayenne, la Sarthe, le Calvados et l'Orne, où il échappe de peu à la mort. Lorsque la région est libérée à l'été 1944, Jacques Foccart est alors proche de Charles de Gaulle qui le désigne en 1952 pour siéger à l’assemblée de l’Union Française. Dès le retour au pouvoir du général en mai 1958, il joue un rôle déterminant, en raison de ses liens avec les services d’espionnage. Il accompagne de Gaulle à l’Elysée en qualité de conseiller technique où il est chargé des questions africaines puis intègre la Direction Générale des Etudes et Recherches (le futur SDECE), les services spéciaux que dirige un gaulliste historique, Jacques Soustelle. Jacques Foccart noue des relations personnelles avec les dirigeants africains avec lesquels il s’entretiendra quasi quotidiennement au téléphone via ce service. C'est alors que le futur "Monsieur Afrique" du général de Gaulle commence à tisser sa toile. Il quitte ses fonctions au départ du général. Mais c’est plus tard, lorsque Georges Pompidou sitôt élu, le rappelle à l’Elysée et lui confie de nouveau le dossier africain, qu’il entretiendra continuellement le réseau mis en place par la « cellule africaine ». b) Les raisons de la « cellule africaine » du général de Gaulle. Impuissante à trouver une issue à la crise, la guerre d'Algérie entraîne l'effondrement de la IVe République. Le général de Gaulle arrive au pouvoir en mai 1958 sous la pression des français favorables au maintien de l'Algérie française. Pourtant, il comprend rapidement que la France ne pourra retrouver son rang de puissance qu'en réglant une fois pour toutes le problème des indépendances africaines. Cependant, de Gaulle ne le souhaite pas, et ce pour au moins trois raisons. Tout d’abord, dû à une raison économique, le continent africain permet à la France d'atteindre des matières premières comme l’uranium ou le pétrole considérées comme stratégiques et source de profits indépendantes pour les sociétés coloniales. Puis, pour une raison politique, en pleine période de “Guerre froide”, la France, alliée du camp occidental, souhaite éviter la propagation du communisme dans ses colonies. Et enfin une raison sans doute infâme, le détournement des revenus africains comme source de financement pour le mouvement gaulliste, via des circuits qui irrigueront par la suite d’autres partis du gouvernement. En conséquent, même si de Gaulle met en marche le processus de décolonisation dans les années 60, il charge Jacques Foccart et son bras droit Maurice Aubert de maintenir les pays d’Afrique francophone sous la tutelle française par une stratégie d’ensemble de moyens illégaux et de systèmes de dépendance intégrale[1].

II) M. Foccart et sa stratégie politique en Afrique.

a) Une stratégie funeste : batailler pour la France sans la compromettre officiellement.

Foccart commença sa stratégie via la mise en place de dirigeants africains favorables à la France, ceci par la propagande, des fraudes électorales massives, ou des punitions exemplaires comme l’élimination physique de leaders. En effet, au Cameroun l’éradication de mouvements indépendantistes se fait connaitre. Après avoir éliminé en 1958 le leader indépendant Ruben Um Nyobé, et empoisonné au thallium son successeur Felix Moumié en novembre 1960, la France pacifie par les armes le pays « bamiléké ». Elle n’y parviendra plus tard, qu’au milieu des années 60 et de façon définitive, seulement après l’arrestation en 1970 puis son exécution l’année suivante d’Ernest Ouandié, le leader de la lutte armée. Dans ce contexte trouble, on ajoute le soutient à certaines populations favorables à la France via l’emploi de mercenaire dont le célèbre Bob Denard, employé pour intervenir au Biafra auprès de Odumegwu Emeka Ojukwu, gouverneur militaire de la région du sud-est du Nigéria, fief de l’ethnie Lbo à majorité chrétienne. Le sud-est du Nigeria, qui regorgeait de pétrole selon Elf, fait sécession en 1967 et refuse de s'affranchir de la tutelle fédérale des Haoussa, en majorité musulmans sous l’autorité du général Yakubu Gowon. Paris soutient alors cette tentative, dans un premier temps discrètement. Depuis Abidjan et surtout Libreville, Bob Denard et les siens assurent d’importantes livraisons d’armes, et cohabitent parfaitement avec l’humanitaire « sans frontière » qui approvisionne la résistance biafraise en nourriture grâce au même avion transportant les moyens de combattre l’armée nigérienne. Pour l’appui de cette cause indépendantiste, le gouvernement français qualifia ces massacres par un « génocide » de l’armée nigérienne à l’encontre de la population biafraise. Ce qui était le prétexte idéal à l’action couverte de Bob Denard dans cette région[2].

Après ce succès, plusieurs opérations manquées, toujours menées par l’Elysée émailleront le parcours de Bob Denard, dont le débarquement au Bénin le 16 janvier 1977 qui tourne au fiasco quand le chef de l’état Ahmed Abdallah[3] s’écroule tué par balles en présence du mercenaire. Dix ans plus tard, Bob Denard sera acquitté de cet acte au bénéfice du doute. Autre que ces soutiens à certaines populations ou coups d’état favorables à de futures prospections pétrolières, les relations franco-africaines ne s’arrêtent pas là et soutiennent aussi certains dictateurs dans l’ex-Afrique sub-saharienne francophone dont les personnalités Gnassingbé Eyadema au Togo de 1967 à 2005, Bokassa en Centrafrique de 1965 à 1979, Mobutu au Zaïre de 1965 à 1997 mais surtout Omar Bongo au Gabon de 1967 à 2009 dirigeant un pays aux forts intérêts de la France.

b) L’affaire du Gabon : « une affaire en pétrole ».

Du temps où la France savait ce qu’elle voulait, elle défendait ses intérêts sans scrupule comme en 1964 au Gabon[4]. En effet, c’est dans la nuit du 19 février 1964 qu’une centaine de soldats indépendantistes de l’armée gabonaise investissent le palais présidentiel à Libreville et s’emparent du chef de l’Etat Léon M’ba pour qu’il annonce de lui-même sa démission à la radio. Séquestré loin de la capitale à Lambaréné à l’intérieur du pays, un gouvernement provisoire se met en place mené par Jean Hilaire Aubame. Ce politicien gabonais n’a rien d’un révolutionnaire antifrançais mais reste un potentiel opposant à la politique de la France en Afrique. C’est alors que dans l’après midi, des parachutistes français s’emparent de l’aéroport pour sécuriser la venue d’autres renforts francophones. Sous les ordres du général Kergaravat, les militaires français encerclent le palais présidentiel où l’opposition se rend sans trop de débordement. Le soir du 19 février 1964, le président Leon M’ba est libéré par un commando parachutiste et rentre dans son palais reprendre ses fonctions. Pour conférer un semblant de légalité de son expédition, Paris invoque l’accord de défense conclu en 1960 avec le Gabon, que le vice président gabonais Paul Marie Yembit prendra soin d’antidater suite à ces événements. Cette défense juridique servira de leçon aux autres présidents d’Afrique francophone. De suite, huit ans après le début de l’exploitation industrielle des premiers gisements au Gabon, à Ozouri et à Pointe Clairette, l’avenir mérite des précautions. Paris fait le choix d’entrainer une garde présidentielle sous la bienveillance d’un ancien du SDECE, Bob Maloubier recruté par Maurice Robert. En 1967, la cellule africaine fait ensuite initier le successeur de Leon M’ba, Albert Bernard Bongo un ancien des services secrets français dont l'ascension politique a été téléguidé dès 1960 par Maurice Robert. L’ancien secrétaire général, porté au pouvoir pour verrouiller le pétrole, veillera aux intérêts de la France pendant plus de 40 ans. Ainsi, les relations gabonaises sont remises sur une orbite sure par l’envoi de Maurice Robert en tant qu’ambassadeur du Gabon qui fit scandale dû à son passé dans la « Françafrique ». Et Jacques Foccart consolide encore le régime gabonais en plaçant ses hommes à tous les postes stratégiques en particulier à l’Union Générale des Pétroles, qui deviendra Elf-Africaine.

c) Deux piliers sombres de la « Françafrique » étroitement liés : les « réseaux Elf et Foccart ».

La création d’Elf par Pierre Guillaumat en 1967 était selon Pierre Desprairies directeur des relations extérieures Elf-Africaine entre 1967 et 1973 : « un objectif d’indépendance nationale afin de ne pas dépendre des grands groupes internationaux pétroliers»[5]. Le Gabon fut la principale source d’approvisionnement de la nouvelle compagnie Elf-Africaine. Au plus fort de sa production, au milieu des années 80, ce pays représente un tiers de la marge brute d’autofinancement du groupe Elf et près de la moitié de ses réserves prouvées. Tout naturellement, le service de renseignement d’Elf établit des contacts avec une section opérationnelle du SDECE pour cette région où très vite les échanges entres ces deux services s’intensifient. Les hommes du SDECE agissent sous la tutelle d’Elf [6] qui de son coté finance certaines de leurs opérations afin de « recueillir des informations de ressources pétrolières. Il fallait ici du personnel formé à la recherche du pétrole » avouera Maurice Robert[7]. Ainsi, c’est parce que cette société avait un objet politique et diplomatique en Afrique qu’elle a de tout temps financé les services secrets[8]. L’osmose était parfaite entre les « réseaux Elf et Foccart ». Toutefois, les investissements sur le terrain africain étaient d’une telle ampleur que la société Elf n’hésita pas à financer certains coups d’état pour défendre certains régimes politiques en place et éviter l’instabilité. En effet, Elf n’a pas que des investissements au Gabon, mais aussi au large du Congo Brazzaville et de l’Angola. C’est en Angola que la société s’implique dans le conflit civil qui oppose l’UNITA et le MPLA depuis 1975. Le partit au pouvoir dirigé par Dos Santos, le MPLA est marxiste et soutenue par Cuba, l’Union soviétique et par la France. En revanche, l’UNITA, le mouvement rebelle dirigé par le leader Jonas Savimbi, est résolument anti communiste et reçoit de l’armement de l’Afrique du Sud qui subit l’embargo de l’apartheid auquel participe aussi la France. En fin 1978, Jonas Savimbi s’en prend alors directement à Elf. Vérifiant une menace pour le groupe, Elf reverse des dividendes du pétrole soit au gouvernement Dos Santos, soit aux rebelles de l'UNITA en fonction du rapport de force, offrant ainsi aux deux camps les moyens de financer la poursuite de la guerre et d’assurer une stabilité économique à ses investissements. Mais se sera en 1979 que Dos Santos prendra le pouvoir grâce à l’aide financière d’Elf pour l’armement de son partit. Outre le financement d’une guerre civile, Elf finance aussi des campagnes présidentielles de certaines personnalités[9]. Cependant, au Congo, par exemple, elle refuse d'avancer 10 milliards de francs CFA au chef de l’Etat Pascal Lissouba pour payer les salaires des fonctionnaires et des militaires à la veille des législatives, dû au non respect de l’accord qu’il avait passé avec Sassou N’Guesso, ancien président et surtout pilier des relations d’Elf dans le pays. Surpris et acculé, Lissouba est contraint de signer un accord catastrophique (avec des taux d'intérêts énormes, et des réserves pétrolières engagées sur dix ans) avec la compagnie américaine Oxy qui lui garantit 150 Millions de dollars sur dix ans de production pétrolière. Puis, Lissouba exige de pouvoir contrôler la quantité de pétrole extraite par Elf. Les relations se dégradent, même si Lissouba gagne les élections législatives, immédiatement des conflits armés entre Lissouba et Sassou N’Guesso soutenu par Elf font ravages[10]. Cette société écran Elf indirectement lié à l’Etat français détient finalement un réseau très incrusté dans la vie politique africaine et étroitement lié aux « réseaux Foccart » qui aura sitôt fait de s’essouffler.

III) La fin d’un réseau qui aura perduré 40 ans.

a) Un réseau qui survit malgré les changements de pouvoirs.

En mai 1974, Valérie Giscard d’Estaing est élu président de la République. Le secrétariat d’Etat à la coopération disparait dû au remaniement du gouvernement de Pierre Mesmer annonçant peut être le début du démantèlement des structures de la Coopération française avec l’Afrique. Alors VGE innove ; non seulement le gouvernement de son premier ministre Jacques Chirac rétablit un ministère plein de la Coopération, mais celui-ci reprend les attributions du secrétariat général aux affaires africaines qui est dissous en même temps qu’est renvoyé Jacques Foccart en simple conseiller technique maintenu à titre transitoire à la présidence de la République. Est-ce le début de la fin de la « Françafrique » ? Pas vraiment, le nouveau conseiller technique de l’Elysée, René Journiac est un homme initié par Jacques Foccart qui se rendra très vite indispensable[11]. De plus, si Valérie Giscard d’Estaing a évincé Jacques Foccart c’est sans doute pour mieux s’investir lui-même dans les relations avec les présidents africains ; on se rappelle de l’affaire des diamants avec Jean Bedel Bokassa, chef d'État de la République centrafricaine. De suite, François Mitterrand aura tôt fait de se ranger. Certes après 1981, le désir de changement dans les relations franco-africaines existe au sein du parti socialiste. Mais François Mitterrand se comporte comme ses prédécesseurs ; comme de Gaulle, il fait appel à Guy Penne qui ne connait pas l’Afrique, dont l’appartenance franc-maçonne représente la clé unique pour le continent, et confie à son fils ainé Jean Christophe les relations franco-africaines, où il restera un serviteur subalterne. C’est en 1986, que François Mitterrand éprouvera le besoin d’encadrer son fils par un professionnel de l’état franco africain. Jean Audibert était un homme de gauche au regard de son efficacité, le seul conseiller socialiste qui mériterait l’épithète «Foccart de gauche». Néanmoins, Audibert était dans la directive de supprimer ou de réduire les implications de la France dans la « Françafrique ». Il parviendra assez largement à neutraliser les fondations des « réseaux Foccart » jusqu’en 1994[12]. b) Un réseau qui s’est fissuré par la venue de trois événements en 1994. Les premiers mois de l’année 1994 voient se télescoper trois événements importants qui précipitent l’évolution de la « Françafrique ». Tout d’abord, les funérailles de Félix Houphouët Boigny, le 7 février à Notre Dame de la Paix à Yamoussoukro, constituent l’événement le plus symbolique. Jacques Foccart est un de ceux qui ont aussi contribué à conforter l'image d'un Houphouët-Boigny dictateur tolérant, bon catholique, qui n'a jamais fait exécuter personne. En effet, cette complicité entre les deux personnages a le plus contribué à donner l'image de « vieux sage de l'Afrique » mais a joué à plein dans la guerre du Biafra. On se souvient, en effet, que la Côte d'Ivoire fut l'un des plus fermes soutiens de la rébellion biafraise et que ce soutien a aboutit à faire durer une guerre civile cruelle qui fit près d'un à deux millions de morts. Jacques Foccart, Houphouët-Boigny et le général de Gaulle comptent au nombre de ceux qui sont responsables de la prolongation d'une tuerie où les préoccupations politiques (affaiblir le géant anglophone d'Afrique noire qu'est le Nigeria) rejoignaient les intérêts économiques (Paris comptant y gagner des concessions pétrolières). Ce jour signe le début du démantèlement de ces réseaux franco-africains qu’ont contribué de nombreux chefs d’Etat de l’Afrique francophone et Jacques Foccart. Un mois plut tôt, la dévaluation du franc CFA le 11 janvier ébranle les fondations de la « Françafrique ». Bien que le bilan de la dévaluation est plutôt bon, elle enraye les dérives budgétaires des Etats de la zone et cette dévaluation marque une rupture encore vivace dans le lien franco-africain. En effet, dévaluer le franc CFA, c’est traiter la monnaie africaine comme n’importe quelle autre, dont la valeur peut varier en fonction des aléas économiques. Enfin, trois mois plus tard éclate le génocide Rwandais où la France est mise en cause à plusieurs niveaux. D’abord, on l’accuse d’avoir armé le pouvoir de Kigali, d’avoir formé les militaires Hutus qui sont à l’origine du massacre des Tutsis et surtout d’avoir fermé les yeux sur sa planification. Enfin, on dénonce aussi l’opération « Turquoise » dont l’objectif était la création d’une zone humanitaire sûre au Sud Ouest du Rwanda mais qui permit à de nombreux génocidaires Hutus d’échapper à leurs poursuivants et de trouver refuge au Zaïre. L’attitude de la France au Rwanda a fait de violentes polémiques[13]. La France, ne peut selon elle, être accusée d’avoir joué une part active dans le génocide rwandais mais son aveuglement a été coupable. Ainsi, le génocide rwandais constitue le troisième point de rupture qui oscille entre l’horreur et la honte. Mais la rancœur domine : la chute du mur de Berlin en 1989 met fin à la Guerre froide qui fait perdre la rente de situation géopolitique de l’Afrique et en conséquent fait apparaitre une « Françafrique » qui meurt « d’encéphalite léthargique ».
Conclusion

Depuis la décolonisation en 1958, Jacques Foccart mis en place sous les ordres du général de Gaulle un complexe franco-africain qui imprégnait un lien puissant et caché d'influence de l’Etat et de sa politique. En effet, les «réseaux Foccart », se sont appuyés sur les institutions de l’Etat français et le parti gaulliste pour en construire un réseau de connexion au sein des sociétés d'État africain, indirectement lié à des entreprises privées, aux services secrets, et aux élites africaines dirigeantes. A travers le continent, ces réseaux ont été en mesure de jeter une ombre longue et omniprésente derrière la politique de la plupart des pays francophones nouvellement indépendants : patronage international, relations inter-étatiques non officieuses, indifférence entre aide publique et pots de vin, corruption... La préservation de la stabilité politique a été essentielle à la prospérité d'un tel lien politico-financier : les tentatives ou menaces de déstabilisation ont su être placés sous étroite surveillance par la manipulation de résultats d’élections politiques ou l’emploi de mercenaires pour renverser quelconque régime indépendantiste. Si nécessaire, la force a été utilisée ouvertement, afin d’assurer le confort du pouvoir des chefs d’Etat amis, comme cela s'est produit au Gabon en 1964, mais aussi en secret, afin de neutraliser l'opposition intérieure à des régimes amis, et de déstabiliser ceux considérés comme hostiles comme la Guinée de Sékou Touré, ou dangereux comme le Nigeria pendant la guerre civile nigériane. Il s’agit ici d’un système ni tout à fait français ni tout à fait africain dont le centre de commandement se situe à Paris, à la cellule africaine de l’Elysée où pèse l’ombre tutélaire de Jacques Foccart, et ses tentacules s’étendent en Afrique. Ce complexe qui a traversé sans coup la décolonisation et la Guerre Froide se fissure dès 1994.

Mini-glossaire

- SDECE : Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage.
- UNITA : Union Nationale pour l’Indépendance de l’Angola.
- MPLA : Mouvement Populaire de Libération de l’Angola.
- CFA : Communauté Financière Africaine.

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[1] « [L'entreprise Foccart] s'est appliquée, grâce à l'appui puissant du général de Gaulle et à la force de son prestige. Elle a contribué à l'installation de régimes autoritaires et au développement d'un système généralisé de corruption. Les réseaux Foccart ont eu deux autres effets pervers. D'abord, leurs actions mélangent à un haut degré influence politique et commerce, pour ne pas dire affairisme. On ne sait pas très bien où s'arrête l'intérêt général et où commencent les intérêts privés. Ensuite les inversions de sens se produisent dans l'influence, la France devenant l'objet de manipulations, soit par des personnes ou des intérêts liés à ces réseaux, soit par des fonds occultes provenant de caisses noires de certains chefs d'État africains […]. Les financements des partis politiques et des campagnes électorales en sont les principaux bénéficiaires » Pierre Marion, La Mission impossible, à la tête des services secrets, Paris, Calmann-Lévy, 259 p., p.106, 1991.
[2] « En 1966, la nouvelle compagnie pétrolière française Elf annonçait l’existence de gisements pétroliers prometteur dans la région de Port Harcourt au Biafra. [ …] Le Biafra déclarait son indépendance le 26 mai 1967 déclenchant une guerre qui allait durer deux ans. […] En 1968, les images de la famine arrivaient en France soulevant une grande émotion. […] À l'automne 1968 […] le gouvernement français mobilisait la Croix-Rouge et mettait en place, dans un même mouvement, un dispositif clandestin d'assistance militaire. Sous la direction d'un mercenaire américain, des pilotes français, rhodésiens, sud-africains et portugais, convoyaient des armements depuis le Portugal jusqu'au réduit biafrais via Sao Tome où ils embarquaient équipes humanitaires, médicaments et vivres. La France et l'Afrique du Sud finançaient conjointement ce pont aérien.» Rony Brauman, ancien président de Médecin Sans Frontière, Biafra-Cambodge : un génocide et une famine fabriqués, 21 octobre 2004.
[3] « Abdallah a accédé à la présidence en 1978, grâce à un coup d'État orchestré par le mercenaire. Celui-ci commande par la suite la garde présidentielle et devient un homme fort du régime. Réélu sans opposition, Abdallah renforce son pouvoir en abolissant le poste de premier ministre et en faisant adopter, en 1989, un amendement constitutionnel lui permettant de briguer un autre mandat. Il prend aussi ses distances avec Denard et ses adjoints qu'il expulse la même année, après avoir consulté la France et l'Afrique du Sud. C'est dans ce contexte qu'Abdallah est tué dans la nuit du 26 au 27 novembre dans sa résidence de Moroni. » Perpective Monde, URL : http://perspective.usherbrooke.ca/ , consulté le 04 février 2011.
[4] « Riche en pétrole, ce véritable eldorado africain qu'est le Gabon est vite surnommé " Foccartland " tant les réseaux de Foccart, assis sur les antennes locales du SDECE, du service action et plus tard de la compagnie pétrolière Elf, y sont actifs. Partout en Afrique, grâce notamment aux bases militaires qu'elle a conservée après les indépendances, la France maintient au pouvoir ses créatures, brisant toute velléité de démocratisation, manœuvrant en coulisses pour préserver ses intérêts. ».Tristan Gaston-Breton, Foccart, l’initiateur de la « Françafrique », Les Echos, 10 aout 2009.
[5] Documentaire Elf une Afrique sous influence, de Jean Michel Meurice et Laurence Dequay, 2000.
[6] « Elf avait ses propres services de sécurité en liaison étroite avec le SDECE. Ainsi, Maurice Robert, le fondateur du SDECE-Afrique, qui fut ambassadeur au Gabon, quitta ce poste pour prendre la direction des services de sécurité d'Elf. L'osmose était ainsi totale entre le réseau Foccart, le mouvement gaulliste, le SDECE, Elf et les dirigeants africains. On peut dire que la « Françafrique » reposait sur deux piliers qui se recoupaient et se confortaient mutuellement, le réseau Foccart et Elf. » Jean Francois Médart, La dimension occulte des réseaux Foccart, para. 40, Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, mis en ligne le 22 novembre 2008. URL : http://ccrh.revues.org/index612.html, consulté le 04 février 2011.
[7] Idem note 5.
[8] « L’Etat détient 33% de Total (qui contient Elf aujourd’hui). Mais de Gaulle veut une société complètement contrôlée par l'État, qui soit son bras séculier dans le pétrole et pour affirmer sa politique africaine. Elf n'est pas seulement une société pétrolière, c'est une diplomatie parallèle destinée à garder le contrôle sur un certain nombre d'États africains, surtout au moment clé de la décolonisation. » Loïk Le Floch-Prigent, Affaire d’Elf, affaire d’Etat, p.53-52, entretiens avec Eric Decouty, le Cherche Midi, 2001.
[9] « Elf-Africaine constituait une infrastructure de la corruption franco-africaine sur des moyens de rémunérations parallèles dont la commission , versée depuis un compte à l’étranger (la plupart du temps de la société Rivunion à Genève, qui gérait la trésorerie des filiales africaines) à un […]chef d’état africain gratifié pour l’obtention d’un nouveau permis de recherche (du pétrole) dans leurs propres pays […]. Les « abonnements » étaient des versements réguliers provenant du prélèvement d’au moins quatre cents barils, qui étaient reversés par le truchement d’une société écran aux chefs d’Etat africains ou aux ministres décideurs. Devant la justice, André Tarallo (ancien PDG de Elf-Gabon) a évalué ces abonnements à soixante millions de dollars par an dans les années 90 pour les pays africains prospectés par Elf. » Antoine Glaser, Stephen Smith, Comment la France a perdu l’Afrique, 268 p., p. 166.
[10] « Un document trouvé par des juges dans le coffre-fort d’Elf, au cours d’une perquisition montre que les réseaux Elf, Pasqua (encore un autre réseau), et Foccart, ont organisé un coup d’État pour renverser ce gouvernement démocratique (Congo Brazzaville dirigé par Lissouba), deux ans et demi après sa mise en place, et le remplacer par Denis Sassou N’Guesso. Ce dictateur, renversé par les urnes, demandait 17 % des bénéfices de l’exploitation du pétrole pour son pays alors que le gouvernement démocratique du pays en demandait 33 %. […] En 1997, au prix d’une guerre civile, il a pu reprendre le pouvoir en s’appuyant sur la garde présidentielle de Mobutu (« Roi du Zaïre » et proche de la France) et aux forces du président angolais Dos Santos (indirectement financé par Elf) ». François Xavier Verschave, Noir Silence, 597 p., p43-46.
[11] « Comme je (le mercenaire Bob Denard) voulais partir au Katanga comme mercenaire, on m’a demandé de prendre contact avec René Journiac. En 1978, c’est un officier traitant qui m’a épaulé pour l’opération Atlantide, destiné à remettre Abdallah (président des Comores) au pouvoir. » Figaro Magazine, Bob Denard nous dit tout, le 17 avril 1999.
[12] « Jamais Jacques Foccart ne retrouvera la même influence, car dépourvu de toute position officielle, ses réseaux privés ne pourront plus s'appuyer directement sur ces structures. Mais d'un autre côté, il sera influent grâce à ses réseaux relationnels privés ; il s'efforcera de les entretenir à coups de téléphone et de visites réciproques, et il continuera jusqu'à sa mort d'exercer un contrôle au sein d'une « Françafrique » de plus en plus éclatée […] Il est là encore difficile de départager dans ces relations ce qui relève de l'officiel et de l'officieux.» Jean-François Médard, « La politique est au bout du réseau ». Questions sur la méthode Foccart », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, mis en ligne le 22 novembre 2008. URL : http://ccrh.revues.org/index612.html. Consulté le 4 janvier 2011.
[13] « La France prit les devants : le 22 juin (1994), elle obtint du Conseil de sécurité l’autorisation de lancer une opération […] autorisant le recours à la force […] en espérant que l’opération « Turquoise » enraye l’avancé du FPR […]. Mais le premier ministre Edouard Balladur décida de réduire les ambitions des militaires de l’opération « Turquoise ». Ces derniers, obligés de prendre contact avec le FPR, durent se contenter de créer dans l’ouest du pays une « zone humanitaire sûre » où convergèrent tous les groupes extrémistes ainsi que le gouvernement intérimaire, encadrant ainsi des millions de civils hutus. Dans cette zone, les Français furent impuissants à empêcher de nombreux massacres, mais ils refusèrent de désarmer militaires et miliciens, ils se gardèrent bien d’arrêter les responsables du génocide qui, par la suite, se réfugièrent au Zaïre, et n’interdirent pas les émissions haineuses de la Radio des mille collines.» Colette Braeckman, Rwanda retour sur un aveuglement international, Le Monde Diplomatique, archives mars 2004, URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/03/BRAECKMAN/10872, consulté le 02 février 2011.

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Bob Denard au centre lors de son arrestation aux Comores en 1995.
Source : New York Times, 16 octobre 2007.

Jacques Foccart décrit par Pierre Péan, l’Homme De l’Ombre, éditions Fayard,
1er avril 1997.

Omar Bongo et Charles de Gaulle, première visite officielle en France en janvier 1968.
Source : Le Monde, Omar Bongo, 50 ans d’amitié franco-gabonaise, le 26 février 2009.

Carte de support : La (« fausse ») décolonisation des empires coloniaux dès 1945.
Source : Hachette, manuel Histoire Géographie 3eme, 2003.

Sassou N’Guesso à gauche et Pascal Lissouba à droite.
Source : Magazine Afriquechos.

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