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Architecure, Ville Et Loisirs

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Submitted By Simyan
Words 5740
Pages 23
Architecture, Villes et Loisirs : influences et relations Sommaire

Introduction I. Quand l'industrie des loisirs se fait précurseur
A. B. C. D. Coney Island et l'apparition du premier parc Luna Park Dreamland Un modèle pour New York

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II. Vers un impact croissant du divertissement sur la ville
A. B. C. D. E. F.

Première application Une exposition qui retrace cette évolution Les expositions universelles, premiers parcs d'attractions ? Vers une ville de loisirs Las Vegas Dubaï

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III. Des parcs d'attractions au cœur de la ville A. Disney B. Val d'Europe

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C. Vers un investissement des villes D. Les zones en question E. Une tendance qui va au-delà du territoire américain

Conclusion Bibliographie Annexe

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Introduction
L'envie de se divertir est un comportement commun à tous. Chaque époque et chaque peuple a ses divertissements : jeux, fêtes, musiques, danses... Autant de loisirs qui caractérisent et qui distinguent les cultures. Mais sans doute n'ont ils jamais eu autant d'importance que dans nos sociétés modernes, où les individus ne cherchent plus uniquement à s'accomplir par leur travail, qui devient parfois un simple moyen, mais par leurs loisirs. Le terme «divertissement» est employé comme une occupation qui écarte, qui détourne l’être humain des pensées angoissantes, comme la mort, et des problèmes qui devraient le préoccuper. Le loisir, qui vient du verbe latin licere, être permis, est un temps de liberté, où l'on a permission d'agir ou de ne pas agir, de faire ce que l'on veut1. La différence est donc de mise, puisque le divertissement implique simplement de de ne pas penser aux problèmes, ce n'est donc pas quelque chose qui dépend de notre seule volonté comme le loisir qui est vraiment le fruit de notre propre envie. Le divertissement peut être imposé, par le travail ou par des personnes détournant simplement notre attention sans que cela soit le fruit de notre volonté propre. Toutefois le mot divertissement a évolué de façon à ce que l'on entende plus par là la notion de se faire plaisir, de s'occuper agréablement, d'où, de façon de plus en plus courante, la nécessité d'en avoir le loisir. Les activités qui peuvent entrer dans le cadre du divertissement sont nombreuses : sports, spectacles, médias, travail... Ici, ce sont ceux qui ont une relation poussée avec la ville qui nous intéresse, à savoir les parcs d'attractions. En effet, les compagnies les dirigeant sont bien souvent des multinationales qui ont su profiter de cet avènement des loisirs pour devenir ce qu'elles sont aujourd'hui, et, aussi surprenant que cela puisse être, jusqu'à devenir des acteurs majeurs dans l'évolution de nos villes. C'est à ce sujet que se consacre ce rapport d'études, les rapports qu'entretiennent loisirs et villes, et principalement l'influence qu'ont eu et ont toujours actuellement les parcs d'attractions sur celles-ci, au travers d'une approche de repérage non exhaustif de trois différentes façons dont cela s'est illustré jusqu'à présent. Pour ce faire, c'est en s'intéressant tout d'abord à la naissance de New York telle qu'on la connaît aujourd'hui, et notamment à Coney Island qui en est la véritable source d'inspiration, que l'on mettra en avant les premières interactions entre ville et parc d'attractions. Ensuite, au travers de l'exposition Dreamland, c'est un aperçu de l'évolution de la part des loisirs dans la société qui sera présentée, particulièrement son influence croissante et les cas particuliers qui en découlent. Finalement, on s'intéressera à la façon dont les compagnies du divertissement se sont instaurées en ville, comment elles se sont mêlées au tissu urbain, jusqu'à en devenir un acteur principal.

1 Définitions tirées du site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales 2

I / Quand l'industrie des loisirs se fait précurseur Cette première partie s'intéresse à l'une des formes urbaines engendrées par la recherche du divertissement : les parcs d'attractions. Il est ici notamment sujet des avancées que ceux-ci ont permis, des forces que cette typologie a révélé et de l'inspiration pour la ville de New York que cela a engendré. Toute cette partie s'inspire de New York Délire, où Rem Koolhaas a étudié les grandes évolutions de New York, ce qui permet d'éclairer ces différents points. A ) Coney Island et l'apparition du premier parc L'histoire de New York passe par celle de Coney Island, appendice à l'entrée du port de New York. Zone de nature vierge, celle-ci est vite investie par les New Yorkais, à la recherche d'un endroit où se détendre après la vie stressante de la ville. En 1865, la première ligne de chemin de fer est installée au milieu de l'île et s'arrête proche de la plage, cette nouvelle infrastructure entraîne l'arrivée des premiers équipements. C'est principalement le divertissement qui est recherché en allant sur l’île. Ainsi vouée au plaisir, c'est toute une course à la production de divertissements qui se met en place. D'espace naturel permettant de se libérer de la pression urbaine, Coney Island devient au contraire une intensification de celle-ci. Le pont de Brooklyn finit de relier l'île à à Manhattan, engendrant des records de population sur la plage. C'est alors que la première attraction fait son apparition : Loop-the-Loop, permettant de rester la tête en bas pendant l'attraction ; les Roller Coaster, Shoot the Chutes et autres suivent rapidement. L'arrivée de l'électricité permet d'éclairer la plage, de réaliser une grande roue... Tilyou en profite pour développer des attractions basées sur les nouvelles technologies : course de chevaux mécaniques, simulation de tremblement de terre... Steeplechase Park est né. B ) Luna Park Un autre parc voit alors le jour sous l'impulsion de Frederic Thompson et Elmer Dundy : Luna Park. Comme son nom l'indique, le parc est organisé autour du thème de la Lune. Thompson, révolté par le système des Beaux Arts et son inadéquation à l'époque actuelle, a éliminé toute forme classique et conventionnelle. Il s'inspire de modèles de la Renaissance et d'Orient, tours et minarets sont ainsi omniprésents pour susciter un effet d'exaltation et de gaieté, grâce à leurs lignes gracieuses. De la nature vierge de Coney Island, c'est maintenant un spectacle architectural de 1221 tours, minarets et dômes qui s'en élance. Ainsi naît la première ville de tours, mais sans autre fonction que d'exciter l'imagination et sortir le peuple de leur quotidien.

« Luna Park le jour » dans New York Délire, 1978

« Luna Park la nuit » dans New York Délire, 1978

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C ) Dreamland Tout ceci inspire le sénateur William H. Reynolds, également promoteur immobilier. Il annonce un nouveau parc d'attractions, qui est réalisé pour attirer un public plus large que les précédents. Ici le thème est plus plausible : navires en plâtre à mouler comme pour suggérer que la surface du parc est sous l'eau. Une autre caractéristique est l'absence de couleurs, tout est peint en blanc immaculé, anticipant déjà le modernisme. Le plan en fer a cheval s’organise autour d'une lagune, avec dix sept attractions disposées autour de celui-ci. Parmi les attractions, on trouve notamment Lilliputia, la ville naine. Celle-ci est adaptée à la taille des 300 nains la peuplant, donc d'un tiers équivalent des hauteurs habituelles . Ils y vivent en communauté, possèdent leur propre Parlement, plage, caserne de pompiers... Le laboratoire de Dreamland, constituant une véritable expérimentation sociale. Les canaux de Venise consistent également en un laboratoire, où Reynolds est urbaniste. Située dans une réplique du Palais des Doges, cette maquette de Venise présente tous les bâtiments les plus importants sur des toiles, disposés en perspective de part et d'autre du Grand Canal. La vie vénitienne y est également simulée. La Beacon Tower, haute de 107 mètres constitue l 'élément central du plan. Illuminée de nuit, elle propose un superbe panorama sur le mer et sur l'île. Un autre projet de tour, le Globe Tower, une sphère en acier montée sur huit pieds, a pour ambition de former un agglomérat de Steeplechase, Luna Park et Dreamland dans sa sphère, ainsi que des hôtels et autres magasins. Tout un ensemble de mondes différents regroupés dans un seul bâtiment, un gratte-ciel embryonnaire. Mais l'entreprise échoue, la réalité technique ne permettant pas encore une telle prouesse.

« Globe Tower » dans New York Délire, 1978

D ) Un modèle pour New York Selon Rem Koolhaas, le succès de New York comme capitale du XXe siècle est dû au génie de ses concepteurs d'avoir déplacé la mythologie de Dreamland sur la vraie ville de New York : « Dreamland ouvre 7 ans seulement après Steeplechase. Sous prétexte d'offrir du plaisir et de l'amusement à volonté, Tilyou, Thompson et Reynolds ont, en fait détourné de la nature toute une portion de la surface terrestre plus efficacement que l'architecture n'avait encore jamais réussi à le faire, et ils l'ont transformée en un tapis magique qui peut : • copier les expériences et contrefaire presque n'importe quelle sensation ; • susciter un nombre indéfini de spectacles rituels propres à conjurer les châtiments eschatologiques liés à la condition métropolitaine (annoncés par la Bible et inscrits dans les fantasmes de la sensibilité « antiurbaine » des Américains) ; • résister au choc d 'une invasion quotidienne de plus d'un million de visiteurs. En moins d'une décennie, ils ont inventé et imposé un urbanisme fondé sur la nouvelle technologie du fantasme, une conspiration permanente contre les réalités du monde extérieur. Cet urbanisme définit des rapports entièrement nouveaux envers le site, le programme, la forme et la technologie. Le site est désormais un état miniature ; le programme est son idéologie et l'architecture est l'utilisation de l'arsenal technologique pour pallier la perte de la matérialité. L'allure frénétique à laquelle cet urbanisme psychomécanique a étendu ses tentacules tout autour de
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Coney Island témoigne de l'existence d'un vide, qu'il importait de combler à tout prix. De même qu'un pré ne peut recevoir qu'un nombre limité de vaches sauf à être tondu jusqu'à la racine, la nature est progressivement dévorée par l'escalade simultanée de la culture et de la densité s'exerçant sur un même lieu. La métropole aboutit à une pénurie de réalité. Les multiples réalités artificielles de Coney proposent une solution de rechange. Le nouvel urbanisme de Coney suscite des émules un peu partout à travers les États-Unis, même sur des sites qui sont loin d'offrir les mêmes conditions de densité urbaine. Avant-poste du manhattanisme, ils servent d'annonces publicitaires à la réalité métropolitaine proprement dite. »2

« Plan de Coney Island » dans New York Délire, 1978

L'artificialité de l'île est devenue une attraction, grâce à son côté surnaturel. Les parcs la composant sont devenus la « partie la plus moderne du monde »3. Ils sont le terrain d'essai pour les « nouvelles technologie du fantastique »4, d'où sont nés les mécanismes qui vont être à l'origine du Manhattan tel qu'on le connaît aujourd'hui. La tour a été testée en premier lieu à Coney, avec les « pinacles blanc neige » de la skyline de Luna... Coney Island regroupe ainsi tous les éléments qui feront de New York ce qu'elle est aujourd'hui : la première ville de tours, bien qu'uniquement décorative ; les premières tours à ascenseurs, lançant la course à l'architecture verticale ; la première tentative de « tour-monde » ; une île divisée en blocs où dans chacun s'invente une idéologie propre ; des moyens de supporter la congestion.
2. Rem Koolhaas, New York Délire, p62, éd. Parenthèses 3. Rem Koolhaas, New York Délire, p42, éd. Parenthèses 4. Rem Koolhaas, New York Délire, p41, éd. Parenthèses 5

Ainsi, « Coney Island est l'incubateur de la thématique et de la mythologie balbutiante de New York » , l'industrie des loisirs mère d'une des villes les plus importantes du monde.
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5. Rem Koolhaas, New York Délire, p30, éd. Parenthèses 6

II/ Vers un impact croissant du divertissement sur la ville Coney Island fait donc office de laboratoire pour Manhattan et en couvre les prémices. Dès lors on peut se demander si la part des loisirs dans la ville réelle ne va pas au-delà de ces considérations urbanistiques et idéologiques. L'exposition Dreamland constitue le fil directeur de cette deuxième partie, qui se consacre donc à l'évolution de l'impact du divertissement sur la ville, qui ne se contente pas seulement d'être source d'inspiration pour la ville comme la partie précédente l'a montrée, mais comme un véritable enjeu. A ) Première application Ainsi, lorsque la tour, premièrement apparue avec l'observatoire Latting à l'exposition universelle de Manhattan en 1853, puis utilisée en tant que décor de Luna Park, est finalement utilisée en 1908 par Ernest Flagg qui en place une au sommet de son Singer Building, cela suffit à faire de ce dernier « l'édifice le plus célèbre d'Amérique de 1908 à 1913 ». S'en suivit la prolifération des tours et grattes-ciel que l'on connaît, pour arriver « Singer Building » dans New York au Manhattan actuel, avec la participation pour certains blocs des promoteurs de Coney Island. Délire, 1978 B ) Une exposition qui retrace cette évolution L'exposition Dreamland, inspirée du nom du parc précédemment cité, pousse encore plus loin cette démarche d'adaptation du divertissement à la réalité. Les parcs d'attraction et les expositions universelles y font figure de modèle. Ce qui les caractérisent est le déni du réel, la volonté de le transcender afin d’exalter l'imagination. C'est pourquoi il y est question d'envisager l'inspiration des parcs de loisirs, des expositions universelles et des foires internationales dans la ville et dans les démarches artistiques et architecturales contemporaines. Luna Park a par exemple accueilli un large panel d'artistes, peintres, cinéastes et photographes pour qu'ils puissent y travailler, notamment ceux rattachés aux mouvements futuriste et surréaliste. Les parcs d'attractions et les expositions universelles sont ainsi devenus des points de contact entre la culture des masses et le milieu artistique. C ) Les expositions universelles, premiers parcs d'attractions ? La construction de la tour Eiffel en 1889 marque la transition des expositions universelles à vocation pédagogique vers des événements plus spectaculaire. Alors qu'auparavant, elles servaient principalement à exposer au public les derniers progrès technologiques, ceux-ci sont dorénavant mis en scène de manière à être le plus impressionnant possible. Cela a eu son effet, de monument temporaire elle est passée au stade de symbole de la ville. Celle de 1900 est aussi très importante, elle introduit la ville pastiche, avec ses pavillons nationaux représentant chacun une architecture propre à elle : les pagodes chinoises côtoient alors les palais italiens et les temples khmers. D ) Vers une ville de loisirs C'est le point de départ d'une nouvelle conception de la ville, que Cedric Price annonce en 1963 : « Nous sommes désormais entrés dans une nouvelle ère du loisir. Un des premiers besoins est de créer dans chaque ville des espaces où l'on puisse apprendre à travailler et à jouer. »6 Son projet Fun Palace en découle, ensemble modulable destiné au divertissement, au spectacle et à l'information (théâtres, cinémas, ateliers...). Il inspirera notamment les œuvres d'Archigram, (Instant City), et est présent à l'esprit de Richard
6 Cédric Price, Preliminary Report, 1963 7

Rogers et Renzo Piano lors de l'élaboration du Centre Pompidou. Le divertissement fait désormais partie des enjeux majeurs de la ville, et n'est plus cantonné à un secteur de celle-ci.

PRICE Cedric, « Fun Palace », 1961 VENTURI Robert, « Car View of Strip », 1972

E ) Las Vegas L'exposition poursuit sur Learning from Las Vegas (1972) de Venturi, qui y a étudié l'architecture populaire et vernaculaire de Las Vegas, notamment le rôle des signes, panneaux publicitaires et autres annonces commerciales dans l'organisation de l'artère principale, le Strip. La signalétique, et non pas l'architecture, domine la ville, à l'encontre de toute les pensées modernistes de l'époque. C'est la culture populaire qui y prospère, qui forme un nouveau type de forme urbaine où l'architecture de référence est l'architecture commerciale et de loisir, constituant ainsi une critique envers les architectes dévalorisants les goûts et valeurs des « gens ordinaires ». Mais Las Vegas ne s'arrêta pas là et suite à son expansion économique due aux jeux d'argents, des hôtels-casinos d'un nouveau genre voient le jour, toujours le long du Strip, pour attirer une clientèle plus familiale. C'est une véritable succession de monuments iconiques : pyramide noire, Sphinx doré, Tour Eiffel, etc, qui se construisent, devenant ainsi symbole du kitsch, du collage urbanistique et de la copie généralisée. L'architecture devient elle-même divertissement, principe initié à l'Exposition Universelle de 1900 et reprise ensuite par Lilliputia, la ville de nains de Dreamland, ainsi que ses canaux de Venise et les Alpes Suisses. Chaque bâtiment est un événement en soi, essayant de se surpasser les uns les autres, la ville se construisant autour de ce divertissement. F ) Dubaï Dubaï pousse ce mouvement à l’extrême, additionnant les projets pharaoniques qui sont les piliers d'un système basé sur le luxe et l'excès. « Cité des milles et une villes, Dubaï déploie vers le firmament une architecture gonflée aux stéroïdes. Chimère fantasmagorique plus que simple patchwork, elle incarne l'accouplement monstrueux de tous les rêves délirants des Barnum, Gustave Eiffel, Walt Disney, Steven Spielberg, Jon Jerde, Steve Wynn – les architectes de Las Vegas – et d'autres Skidmore, Owings et Merrill. Souvent comparée à Las Vegas, Manhattan, Orlando et Singapour, l'émirat est tout cela à la fois, mais porté à la dimension du mythe : un pastiche hallucinatoire du nec plus ultra en matière de gigantisme et de mauvais goût. » 7 Cette exposition a ainsi démontré la proportion qu'a pris le divertissement dans la ville, pas seulement au titre d'influence mais de réel acteur de la ville, tant bien au niveau urbanistique qu'architectural. Les cas exceptionnels de Dubaï et de Las Vegas en sont la preuve, puisque ces deux villes, notamment la dernière, en est le pur produit : toute une ville a été développée autour de l'idée du divertissement, surpassant ainsi sa condition de simple influence. Certains considèrent que ce type de ville
7 Mike Davis, Le stade Dubaï du capitalisme, Les prairies ordinaires, 2007. 8

initient une nouvelle façon de concevoir les villes, suite à l'ère industrielle. On ne peut plus compter sur les industries en déclin pour générer la ville, il faut donc trouver un générateur, qui ici est donc le divertissement. Le philosophe Bruce Bégout considère que Las Vegas est une ville totalement banale, dont la seule originalité est de concentrer les nouvelles tendances du développement urbain. Il estime que "la culture consumériste et ludique qui a transfiguré Las Vegas depuis trente ans gagne chaque jour plus de terrain dans notre rapport quotidien à la ville, où que nous vivions"8. Pour lui, les choses sont claires : "Ce qui s'est mis en place au cœur du désert de Mojave, la surpuissance de l'entertainment qui dicte le cours de la vie, l'organisation de la ville en fonction des galeries marchandes et des parcs d'attractions, l'animation permanente qui règne jour et nuit dans les rues et les allées couvertes, l'architecture thématique qui mélange séduction commerciale et imaginaire enfantin (...) nous connaissons déjà tout cela et allons être amenés à le vivre de manière plus habituelle encore."9 Le divertissement n'est plus seulement une partie de la ville, cette dernière s'organise autour de lui et devient la raison d'être de la ville. Une analyse que Bruce Bégout élargit en montrant comment Las Vegas devient une vraie ville (c'est la ville qui a connu la plus forte croissance aux États-Unis depuis 10 ans) qui se compose de critères de développement qui sont loin d'être spécifiques aux États-Unis : développement des « cités privées » (gated communities), privatisation de l'espace public, nature artificielle...

8 Bruce Bégout, Zéropolis, éd. Allia, 2002. 9 Bruce Bégout, Zéropolis, éd. Allia, 2002. 9

III/ Des parcs d'attractions au cœur de la ville
L'industrie du loisir s'est ainsi imposée jusqu'à devenir une ville en soi, une architecture en soi. Mais outre les exemples de Las Vegas, Dubaï et autres cas particuliers, son importance est également visible dans la plupart des grandes villes. En effet, elle ne s'en est pas arrêtée là, et d'annexe à la ville, elle est est devenue une véritable partie de la ville, notamment grâce à la compagnie Disney. Le divertissement est donc ici abordé dans sa relation et son impact au cœur de la ville où il se trouve. A ) Disney L'influence de Disney dans le monde architectural est telle qu'elle s'est vue confiée la réalisation du pavillon des ÉtatsUnis lors de la Biennale d'architecture de Venise en 1996. En effet, Walt Disney imagine en 1950 EPCOT (Experimental Prototype Community of Tomorrow), une ville futuriste qui s'inspire du schéma des expositions universelles de la fin du XIXe siècle. La ville mêlait lieu de vie, lieu de travail et lieu de loisirs, le tout connecté par des moyens de transport tels que le monorail ou les véhicules électriques. À côté devait ouvrir une foire internationale permanente.

HALL Clem & SCIFO Bob, « EPCOT Overall» , 1981

Le projet verra le jour, mais uniquement sous la forme de parc d'attraction. Celui-ci, pour la première fois, ne suit pas le modèle initié par les expositions universelles, où le parc est toujours divisé en plusieurs secteurs appelés land (pays) avec des thèmes et des attractions récurrentes. Son rêve sera finalement actualisé au début des années 1990, quand la firme lance la construction de la ville appelée Celebration, qui préfigure les cités privées. Le principe est de retrouver une "vie de village" pacifique où chaque famille de la communauté est proche de ses voisins, du fait de la disposition des maisons, à l'opposé des grands centres urbains du pays. Tout a été fait pour qu'une ambiance amicale règne entre tous les habitants. La ville reprend les principes de l'urbanisme et de la morphologie urbaine traditionnels, articulant parcs, commerces et zones résidentielles autour d'un lac. Tout est accessible à pied, chaque maison n'étant pas à plus d'un kilomètre et demi du centre. Les habitations suivent toutes un modèle d'architecture prédéfini. Il y a en tout cinq styles architecturaux acceptés, tous pré-approuvés par Disney et s'inspirant des maisons coloniales, méditerranéennes, françaises, de Nouvelle-Angleterre ou encore victoriennes. La ville est gérée et réglementée par Disney (jusqu'en 2004), ceinte, son entrée gardée, et les habitants paient cher pour y habiter, donc peu de pauvreté et de minorités ici. Ils ont aussi accès direct au parc Walt Disney World Resort. Ainsi, c'est un tout nouveau type de ville que Disney a inventé ici : la ville privée. B ) Val d'Europe Mais Disney ne s'est pas arrêté là en matière d'innovation. C'est en effet la première entreprise à développer un partenariat avec un établissement public : l'Epafrance, créé pour l'aménagement de la ville nouvelle de Marne la Vallée. Disney cherchait en effet à implanter un parc en Europe, et l'Epafrance s'est portée candidate, disposant d'un secteur entier qui voyait des difficultés à pouvoir être réalisé, et consciente de l'attrait touristique et financier que cela engendrerait. Attiré par la proximité de Paris et ses touristes en toute saison, Disney et l'Epafrance se mettent donc d'accord pour intégrer le parc au projet urbain existant. Le parc est presque similaire en tout point à celui situé en Floride, à quelques adaptations
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près. Il s'agit ensuite pour Disney d'avoir un environnement en cohérence avec son parc, sans pour autant en faire une urbanisation continue. La principale volonté était de n'avoir aucun immeuble visible depuis le parc. Disney contrôle ainsi la plupart des projets, afin de s'assurer que cette condition soit remplie et de leur qualité architecturale. De proposition en proposition, Disney et Epamarne se mettent d'accord sur l'urbanisme à appliquer. Celui-ci s'organise autour de la rue traditionnelle et de la construction à la fois par îlots et par zonage, tout en constituant des noyaux de centralité autour des gares et transports en communs. Il prend en compte la structure géographique de l'environnement ( rivière, relief, forêts...) et le préexistant urbain. Il est à noter que les circulations restent toute publique (hormis dans le parc), et que les communes gardent un certain pouvoir puisque ce sont elles qui délivrent les permis de construire. Il ne s'agit donc pas de recréer une ville privée mais bien de s'intégrer dans une ville nouvelle. Du point de vue architectural, Disney a eu un impact aussi important : « La thématisation de l'espace, principe même de l'aménagement des Disneylands, s'est en effet progressivement élargie aux opérations urbaines et immobilières de la compagnie, avant d'entrer en résonance, sous l'ère Eisner, avec un certain postmodernisme architectural, frayant du côté de l'éclectisme et de l'historicisme. »10 Des stars du RCSMIT, Place Toscane au Val d'Europe, 2007 postmodernisme ont ainsi participé (Michael Graves, Robert Stern...), de même que des architectes militant pour le « néo-traditionalisme » (Léon Krier, Maurice Culot...), tous adaptés à l'iconographie importante désirée par Disney. Et contrairement à ce que ses détracteurs pourraient penser, ce n'est pas le simple import des idéologies et de l'urbanisme américain en France. « Le Val d'Europe tel qu'on le connaît doit ainsi être vu comme une véritable coproduction, fruit de la tension quotidienne entre l'Epafrance et la cellule architecture & urbanisme d'Eurodisney »11 Cette collaboration inédite a mené à une « juxtaposition originale de la ville dense et d'espaces de loisirs »12, une ville dont l'économie est tournée vers le loisir et le shopping qui est un véritable succès puisqu'elle figure parmi les premières destinations touristiques européennes et constitue ainsi un pôle majeur du développement de l'Est parisien. C ) Vers un investissement des villes Effectivement, de nouvelles zones dédiées aux loisirs apparaissent et ne se limitent plus aux périphéries urbaines, ou comme précédemment, à une ville nouvelle. Celles-ci investissent des espaces interstitiels, des friches urbaines situés dans des villes, à proximité relative du centre. Conscient du potentiel important de l'espace urbain, qui attire au final bien plus de fréquentations que les parcs à thèmes périphériques, Disney, une fois de plus, a commencé à investir dans de vastes projets de loisirs situés désormais au cœur des villes (d'autres ont bien sûr suivi le mouvement). Ces zones se présentent en général sous forme d'espaces réunissant plusieurs pôles de loisirs, des cafés et des restaurants, des boutiques et des commerces (dont une partie vendent des produits de ces sociétés),
10 Pierre Chabard, « Val d'Europe : de la ville nouvelle au nouvel urbanisme », dans Antoine Picon et Clément Orillard (dir.), De la ville nouvelle à la ville durable,p174, éd Parenthèses 11 Pierre Chabard, « Val d'Europe : de la ville nouvelle au nouvel urbanisme », dans Antoine Picon et Clément Orillard (dir.), De la ville nouvelle à la ville durable,p178, éd Parenthèses 12 Virginie Picon-Lefebvre, « Euro Disneyland : la ville des loisirs » dans Antoine Picon et Clément Orillard (dir.), De la ville nouvelle à la ville durable, p165, éd Parenthèses, Marseille, 2012. 11

l'ensemble organisé de manière à créer un ensemble festif, dense, animé, dans lequel le parcours du visiteur est censé s'inscrire dans une expérience globale lui apportant des sensations inédites. Disney fait ainsi figure de proue avec Times Square. En 1994, la compagnie décide de réhabiliter le New Amsterdam Theater, un théâtre de variétés sur la 42 e rue. Cette décision a modifié le plan d’urbanisme du quartier (le département de planification de New York prévoyait l’installation de bureaux). Elle a facilité la transformation de Times Square en capitale du divertissement de masse. La présence préalable de Sony dans le quartier a été décisive pour Disney et, à son tour, l’initiative de Disney a attiré d’autres sociétés, telles que Mme Tussaud’s, American Multi-Cinemas, AMC et MTV. Sony et Disney sont devenus l’avantgarde de la transformation d’une grande partie du Midtown. Plus qu’un simple complexe de loisirs, l’ensemble ludique créé autour de la 42 e rue constitue désormais une attraction touristique à New York. D ) Les zones en question Ces nouveaux espaces urbains s'apparentent aux parcs d'attractions mais constitue en quelque sorte une évolution. Ces derniers, situés en dehors des villes notamment par nécessité foncière, vendent leurs loisirs à la journée et majoritairement à une clientèle touristique qui effectue le déplacement pour s'y rendre, voire pour y passer quelques jours. Au contraire, des lieux comme City Walk à Los Angeles, ou Navy Pier à Chicago, s'adressent essentiellement à une clientèle régionale ou de proximité qui viendra pour la plupart en fin de journée pour dîner, flâner, aller au cinéma, s'amuser sur des machines à base de réalité virtuelle ou aller en discothèque. Dans ces espaces, le loisir est exploité à l'heure et non plus à la journée. Ce type d'espace est recherché, car il permet l’accommodation de plusieurs demandes et besoins. Ils répondent à la demande des consommateurs pour plus de loisirs urbains ; aux besoins des responsables locaux qui cherchent à réhabiliter ou à relancer des zones qui terminent un cycle productif et qui doivent être réintégrées dans le marché ; à la demande du secteur immobilier qui cherche à revaloriser les valeurs foncières ; et finalement, aux intérêts des compagnies du spectacle et du divertissement qui cherchent à toucher un public toujours plus grand. Le contenu de ces zones est variable, aussi divers que les branches couvertes par les sociétés du spectacle et du divertissement (cinéma, animation, vidéo, électronique, etc.). On y trouve des restaurants à thème (Hard Rock Cafés, Planet Hollywood), des multiplexes cinématographiques, des centres hi-tech (jeux vidéo, jeux de réalité virtuelle), des salles IMAX, du spectacle vivant, des casinos, des commerces de détail (Disney Stores, Boutiques Sony, Virgin Megastores), etc. E ) Une tendance qui va au-delà du territoire américain Ces tendances ne sont pas propres aux villes américaines. Le projet de Potsdamer Platz à Berlin, un des principaux projets de redéveloppement urbain des années 1990, montre pertinemment qu’elles sont désormais universelles. Un des éléments majeurs de la nouvelle composition urbaine est le Sony Center : autour d’une vaste place urbaine qui concentre cafés, restaurants, commerces et appartements de standing, on trouve un magasin à plusieurs étages qui fait la promotion des produits de Sony, un multiplexe cinématographique et un musée de cinéma. A proximité du Sony Center, le complexe de Daimler Bentz comporte, entre autres, un Cinemax, un cinéma 3D, un casino, un théâtre de vaudeville, un théâtre musical. «Sony Retail Entertainment », nouvelle filiale de la société Sony projette la construction de larges complexes de divertissement dans plusieurs villes, ce qui nous pousse à penser que nous nous trouvons devant des changements majeurs qui peuvent largement affecter la culture urbaine et la nature de l’espace public. Ainsi, Disney est allé jusqu'à fusionner ville et loisirs, appliquant une architecture postmoderne que certains disent « de réconfort », où le façadisme est généralisé. Aujourd'hui, le modèle Disney s'est répandu dans nos villes, à telle mesure que depuis quelques années on entend des expressions telles que disneylandisation de la ville ou de syndrome de la ville en carton pâte. L'influence des sociétés du divertissement sur la ville est donc indéniable, ce sont des acteurs bien présents, aussi bien du point de vue de la création de nouvelles villes que de celui de l'investissement des villes existantes.
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Conclusion A travers ces exemples, nous avons pu nous rendre compte de l'importance des sociétés du loisir et du divertissement. On remarque donc avec l'expérience de Coney Island, que c'est dans ces parcs d'attractions fantasmagoriques que s'est au final trouvée l'inspiration pour les villes contemporaines les plus connues. Les innovations techniques et technologiques plébiscitées par ces parcs se sont vues transposées à la ville et ont permis de la créer telle qu'elle est aujourd'hui. Aussi, cet esthétisme de l'illusoire s'est trouvé retranscrit dans la ville contemporaine. Depuis ses débuts dans les expositions universelles, où il était ponctuel, il s'est répandu au point de devenir un élément essentiel de la ville. Même si décriées, Las Vegas et Dubaï en sont les fervents exemples. Le divertissement y a pris tout son essor et s'est fait organisateur de la ville, au point d'en devenir l'architecture même. Disney est même un acteur proéminent de la ville, autant par son esthétique qui s'est retrouvé exportée aux quatre coins du monde, que par sa création de villes entières, attachées à ses parcs, et régies selon des idéologies différentes. Mais en considérant ces exemples, on se rend bien compte que ce sont des cas particuliers, qui ne représentent pas la grande majorité des villes. Lorsque l'on s'attarde plus sur celles-ci, on constate également une influence croissante. Ces mêmes sociétés investissent au cœur des villes, profitant d'espaces interstitiels ou de friches industrielles pour implanter des mini-parcs d'attractions ou de commerces permettant la promotion de leurs produits. Et le fait est que cela marche. En proposant un divertissement général, dans un espace régit par une même entreprise, cela permet des moyens que les villes n'ont pas forcément. L'espace urbain s'en retrouve donc transformé. On assiste dorénavant à des espaces privés mis à disposition de tous, qui grâce à leur gestion par une compagnie est mieux adaptée que certains espaces publics, où l'autorité publique n'a plus les moyens ou l'attention requise pour en faire des espaces adaptés à notre ère. C'est donc une privatisation croissante des villes qui se déroule, débutée aux États-Unis mais qui apparaît de plus en plus dans les villes européennes également. Ces considérations laissent place à diverses questions. Allons-nous vraiment vers une privatisation de l'espace public en général ? Ou plutôt vers un consensus en privé et public comme en témoigne Val d'Europe ? Cette privatisation est-elle une bonne chose ? Quel avenir pour ces espaces, notamment en cas de faillite de ces compagnies ? D'autre considèrent que la ville contemporaine est maintenant lassée du kitsch et du pastiche de ces villes et des parcs d’attraction, et qu'elle est dorénavant à la recherche d'autre influences ludiques. Quelles seraient alors ces nouvelles influences pour la ville d'aujourd'hui et de demain ?

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Bibliographie

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Webographie :

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Annexe

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CHANCEL Philippe, "Desert Spirit, Dubaï" , 2010

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