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Interventionnisme Russe En Tchétchénie

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La Tchétchénie depuis les années 1990:
Récurrences de l’impérialisme russe
La Tchétchénie depuis les années 1990:
Récurrences de l’impérialisme russe

Rencontre au Kremlin entre Vladimir Poutine (gauche) et Ramzan Kadyrov (droite) le 14 février 2008. Source : fr.wikipedia.org/wiki/Ramzan_Kadyrov

Dossier rédigé par Robert HARWOOD dans le cadre du cours Défis géopolitiques dans un monde des échanges, dispensé par Messieurs Pascal LE PAUTREMAT, Elie BARANETS et Eddy FOUGIER
Sommaire
Résumé 3 Introduction 4 1. Les origines des affrontements en Tchétchénie 5 1.1 Un lourd passé de violence et de domination 5 1.2 L’indépendance de la Tchétchénie et la première guerre 6 (1994 – 1996) 6 1.3 L’éclatement de la seconde guerre russo-tchétchène 7 1.4 Les facteurs qui expliquent la poursuite des violences 7 2. Les représailles du conflit russo-tchétchène ? 8 2.1 Un bilan humain et matériel catastrophique 8 2.2 Comment qualifier l’atrocité des forces russes? 11 2.3 Les motifs du gouvernement russe sont-ils valables? 13 3. Quelles perspectives pour la Tchétchénie ? 16 3.1 Une lueur d’espoir pour le peuple tchétchène? 16 3.2 Et l’Union Européenne dans tout cela ? 16 Conclusion 18 Bibliographie 19 Ouvrages de référence 19 Sites Internet 19

Résumé Le conflit tchétchène trouve ses origines dans la dislocation de l’empire soviétique en 1991. La Tchétchénie était alors rattachée à l’Ingouchie (autre région désormais séparatiste) dans un ensemble régional autonome intégré à l’URSS. Lors de la chute de l’union, des mouvements séparatistes se forment pour réclamer l’indépendance de la Tchétchénie-Ingouchie, conduisant à un coup d’état mené par Djohar Doudaev. Le discours de Doudaev, qui apparaissait initialement comme relativement modéré, évolue progressivement vers une véritable revendication de l’indépendance tchétchène. Ainsi, le 2 Novembre 1991, Doudaev déclare l’indépendance de la Tchétchénie-Ingouchie et se proclame président de cette nouvelle nation, approuvé par le parlement. Le 11 décembre 1994, les forces armées de la Fédération de Russie interviennent "pour rétablir l'ordre constitutionnel" et lutter "contre les bandes armées illégales". La guerre, engagée pour "faire rentrer" la Tchétchénie dans le giron russe et prévue d’être courte, dure près de deux ans. L'approche des élections présidentielles russes et le mécontentement croissant de l'opinion publique poussent le pouvoir à proclamer la fin prochaine de la guerre en Tchétchénie. Des accords de paix sont signés à Khassaviourt le 31 août 1996. Des élections libres sont organisées un an plus tard et portent au pouvoir le modéré et pro-russe Maskhadov. Mais l’exacerbation des nationalismes, les multiples attentats perpétrés par les extrémistes tchétchènes sur le territoire russe ainsi que leurs revendications de création d’un état islamiste caucasien ravivent les tensions. C’est ainsi que Vladimir Poutine lance en août 1999, une opération militaire de plus de 80 000 hommes en Tchétchénie, afin de contrer ce qu’il considère comme une menace terroriste. Le 18 avril 2001, un gouvernement tchétchène prorusse s’installe à Grozny. C’est le début de la «tchétchénisation» du conflit. Après presque vingt ans de guerre, la Tchétchénie est ruinée : elle a perdu presque un cinquième de sa population, ses infrastructures ont été minées par les bombardements systématiques et le conflit a profondément marqué les esprits du peuple tchétchène. Face à ce bilan catastrophique d’une guerre qui n’a pas de justification réellement valable, comment expliquer la passivité des Européens ? Malgré les nombreuses condamnations de la CEDH des crimes perpétrés par les forces armées russes, pourquoi l’Union Européenne adopte-t-elle une politique du silence face aux violations des droits fondamentaux tchétchènes et aux excès commis par les forces du Kremlin ?

Introduction

« Je ne prendrais pas de repos tant qu’un seul Tchétchène restera en vie. Ce peuple néfaste pourrait inspirer par son exemple un esprit de rébellion et d’amour de la liberté jusque parmi les serviteurs les plus dévoués de l’Empire ». Général Ermolov, chef des armées du Caucase au tsar Alexandre III.

Entre conflit régulier et terrorisme sanglant dont la ville de Grozny est le triste symbole, une solution politique à la guerre en Tchétchénie peine à être trouvée. La nécessité d’un cessez-le-feu et d’un achèvement pacifique du conflit est indéniable : entre les enlèvements arbitraires et les viols et tortures récurrents, la situation actuelle en Tchétchénie est l’une des plus graves au monde et le pays s’enferme dans une spirale infernale. Les exactions se multiplient et sont commises en toute impunité, visant aussi bien les hommes que les femmes et les enfants. De nombreux dirigeants politiques, parmi lesquels la chancelière allemande Angela Merkel, poussent Vladimir Poutine à trouver une solution au conflit russo-tchétchène. Un dilemme se pose alors au niveau européen : soutenir les droits tchétchènes ou fermer les yeux sur les crimes commis par la Russie, grande puissance économique et énergétique. L’objectif de ce dossier n’est pas de se livrer à une simple critique de la Russie mais de présenter une réflexion politique sur l’ensemble de la situation en Tchétchénie aujourd’hui. Compte tenu de la complexité du conflit et de ses enjeux, ce dossier vise à aller au-delà des réactions que pourraient susciter la guerre russo-tchétchène pour proposer quelques pistes de réflexion autour des grandes questions actuelles de la politique internationale telles que le droit d’ingérence face aux violations des droits de l’Homme, la politique extérieure de l’Union Européenne ou encore l’attitude russe vis-à-vis du problème tchétchène et ses évolutions. La première partie du dossier présente les faits historiques qui lient Russie et Tchétchénie et décrit le déroulement des deux guerres en présentant brièvement les raisons pour lesquelles les tensions perdurent aujourd’hui. La seconde partie dresse un bilan socio-économique des deux conflits et s’attarde sur les crimes perpétrés et leurs justifications. Enfin, la troisième et dernière partie passe en revue les actions et solutions possibles en Tchétchénie.

1. Les origines des affrontements en Tchétchénie La Tchétchénie est un territoire qui s’étend sur 13 000 km², situé au nord-est de la région du Caucase. Ses quelques centaines de milliers d’habitants parlent aujourd’hui le tchétchène et le russe.

1.1 Un lourd passé de violence et de domination La présence russe dans le Caucase du Nord remonte au XVIème siècle et se développe progressivement jusqu’au XIXème siècle. A partir de 1785, les Tchétchènes se livrent à des guerres de résistance contre les colons russes et leurs moyens barbares. C’est à cette époque que se développe en Tchétchénie le soufisme, courant islamique qui apporte un socle religieux sur lequel s’appuie la résistance anticoloniale tchétchène. Par ailleurs, cet islam soufi devient rapidement un des piliers de l’identité nationale tchétchène. Les armées russes sortent victorieuses du conflit, et la Tchétchénie est intégrée à la Russie impériale en 1859. Mais le territoire est loin d’être pacifié, et des tensions resurgissent et éclatent régulièrement jusqu’à la révolution russe de 1917, puis pendant la période soviétique. En 1944, les Tchétchènes, accusés de collaboration avec l’Allemagne nazie, sont déportés en Asie centrale par Staline. Cette expulsion provoque la mort de 100 000 Tchétchènes et constitue un chapitre qui restera gravé à jamais dans la mémoire collective. Les Tchétchènes devront attendre plus d’une décennie avant de regagner leur territoire en 1957. Cet épisode sanglant marque la naissance d’un sentiment de persécution, nourri par la crainte d’une disparition du peuple tchétchène, et qui entretient l’esprit de résistance comme moyen de la survie collective. A cela s’ajoute des discriminations incessantes des Tchétchènes au sein de l’URSS et les ravages de la politique de russification menée par Staline. Ce rejet de l’impérialisme russe constitue aujourd’hui une composante fondamentale de l’identité tchétchène : en effet, nombreux sont les Tchétchènes qui considèrent aujourd’hui la guerre contre l’armée russe en Tchétchénie comme un prolongement des affrontements anticoloniaux. La transmission dans la mémoire collective de grands chapitres traumatisants apparaît comme un des facteurs principaux à l’origine de l’ampleur de la résistance tchétchène actuelle : certaines particularités des sociétés caucasiennes traditionnelles (loi du sang, code de l’honneur, culte de l’héroïsme et de la victoire) sont aussi des facteurs non négligeables mais ne jouent pas un rôle aussi important dans la perpétuation des tensions russo-tchétchènes que ce rapport spécifique au passé.

1.2 L’indépendance de la Tchétchénie et la première guerre
(1994 – 1996) L’effondrement du bloc soviétique et l’élan nationaliste qu’il insuffle chez les Tchétchènes marquent le point de départ de la première guerre russo-tchétchène. En 1991, les vagues séparatistes se propagent en URSS et alimentent les aspirations indépendantistes de certains peuples, notamment les Tchétchènes : en novembre 1991, le nouveau président élu, Djokhar Doudaïev, proclame l’indépendance de la Tchétchénie, une revendication non reconnue par la Russie. Cette volonté de s’émanciper de la Fédération russe s’explique non seulement par l’homogénéité et l’importance relative de la population tchétchène (qui compte alors un million de personnes environ), mais aussi (et surtout) par le poids du passé. La revendication d’indépendance est cependant assez particulière : il n’y pas de tradition étatique en Tchétchénie, et le patrimoine culturel du peuple tchétchène semble un enjeu plus important que son statut politique. Jusqu’en 1994, la Tchétchénie jouit d’une indépendance tolérée par la Russie, mais sans régularisation juridique ni reconnaissance internationale : la Tchétchénie reste intégrée à l’espace économique russe tout en échappant à l’emprise politique et juridique du Kremlin. Le désarroi politique en Russie est l’élément perturbateur qui mettra le feu aux poudres : ayant besoin d’une guerre fulgurante et victorieuse en Tchétchénie pour asseoir son autorité politique la veille de l’élection présidentielle, Boris Eltsine décide de mettre fin à l’indépendance autoproclamée de la Tchétchénie. En décembre 1994, sous les ordres du président Eltsine, l’armée russe pénètre en Tchétchénie et conquiert rapidement sa capitale, Grozny. Toutefois, face à une résistance armée persistante qui parvient à reprendre Grozny en août 1996, la Russie se voit contrainte de signer un accord de paix (accords de Khassaviourt) en 1997 pour mettre fin à ces vingt mois de guerre qui ont fait presque 100 000 morts. C’est à l’occasion de cette première guerre que se développe le wahhabisme en Tchétchénie, qui sera rapidement intégré à l’identité tchétchène. La fin de cette première guerre débouche sur une situation très précaire dans le Caucase : la Tchétchénie jouit d’une indépendance reconnue par la Russie, mais pas par la communauté internationale. Lors d’élections surveillées par l’OSCE, Aslan Maskhadov est élu président de la République avec une large majorité en janvier 1997. Modéré, il tente de concilier les diverses forces de la résistance tchétchène, en intégrant les wahhabites aux structures étatiques. Néanmoins, tensions et affrontements perdurent entre tenants d’un Etat laïc et islamistes radicaux. Ces désordres croissent et secouent la République tchétchène. 1.3 L’éclatement de la seconde guerre russo-tchétchène Après l’humiliation subie en 1996, l’armée russe se réorganise en vue d’une campagne future. En 1999, l’occasion se présente : une série de mystérieux attentats à la bombe frappe la Russie ; la Tchétchénie est accusée d’en être l’auteur. En septembre 1999, l’armée russe réciproque et pénètre en Tchétchénie le 1er octobre. La deuxième guerre russo-tchétchène s’est déclenchée lors de la passation de pouvoir de Boris Eltsine et a joué rôle décisif dans la construction du pouvoir de Vladimir Poutine, élu président en mars 2000 sur la promesse de venger le sang versé par les Tchétchènes (« Nous frapperons les terroristes. Nous les chasserons partout et nous les buterons. Point final, la question est réglée. »). Cette deuxième guerre, tout comme la première, naît de motivations politiques : c’est l’occasion de montrer à son peuple et au monde entier que la Russie restera ferme sur la situation tchétchène et qu’elle ne vacillera pas. Grozny est prise par les forces armées russes le 16 février 2000. Quelques mois plus tard, le mufti Akhmad Kadyrov est nommé à la tête de l’administration tchétchène. Les attentats du 11 septembre 2001 fournissent à Vladimir Poutine une justification de sa lutte contre le terrorisme d’Al Qaïda en Tchétchénie alors qu’il s’agit avant tout d’une campagne d’élimination des indépendantistes tchétchènes. Le caractère impitoyable du dirigeant russe, uni avec la dureté d’Akhmad Kadyrov puis, à partir de 2004, avec celle de son fils Ramzan Kadyrov, vont considérablement serrer la bride aux aspirations nationalistes tchétchènes.

1.4 Les facteurs qui expliquent la poursuite des violences Un règlement militaire du conflit semble peu probable. En effet, l’accablante supériorité militaire des Russes et leur contrôle de la quasi-totalité du territoire tchétchène ne leur assure pas la victoire car, en dépit de leur infériorité numérique, les rebelles poursuivent et multiplient leurs actions militaires. Ainsi, la guerre est perçue comme un nouvel échec du côté des Russes qui n’ont pas réussi à vaincre leur adversaire malgré leur supériorité numérique et la violence de leurs actions. Cependant, un règlement diplomatique semble tout aussi improbable car le pouvoir russe refuse toute négociation avec le gouvernement tchétchène. Négocier avec les indépendantistes tchétchènes serait assimilé à une trahison politique en Russie, en particulier dans les milieux militaires où le souvenir de la paix de 1996 est toujours vécu comme une humiliation. La mise en scène du conflit dans les médias russes (dont la grande majorité est contrôlé par le Kremlin) joue un rôle primordial dans l’instrumentalisation de l’opinion publique et les organisations appelant à des négociations (Le comités des mères de soldats russes) sont rares et peu puissantes. Du côté tchétchène, la perspective de négociation est aussi très lointaine, surtout après l’élimination de Maskhadov en mars 2005. D’autre part, il existe un enjeu économique contribue à la pérennisation du conflit. Le territoire tchétchène est indéniablement riche en ressources naturelles (pétrole et gaz naturel principalement), certes, mais ce ne sont pas les gisements d’hydrocarbures qui suscitent l’intérêt des Russes. En effet, l’importance de ces gisements est souvent surestimée : le Caucase du Nord produit à peine 1,5% du pétrole qu’extrait annuellement la Russie. En revanche, l’enjeu géostratégique que présente la Tchétchénie est indéniable : le territoire tchétchène est traversé par un réseau d’oléoducs qui assure l’acheminement du pétrole depuis la mer Caspienne hors-Russie et qui serait un atout indiscutable pour la Russie et Gazprom dans le contrôle de l’or noir et dans sa distribution. Enfin, si la guerre se poursuit, c’est aussi parce que les forces russes présentes sur place en tirent de nombreux profits économiques liés au contrôle de la production de pétrole, à l’enlèvement de civils et au détournement des fonds destinés à la reconstruction de la Tchétchénie. Ces pratiques illégales conduisent à la mise en place d’une économie souterraine en Tchétchénie à la fin des années 1990, alimentée par l’activité des groupes criminels déjà actifs durant la période de l’entre-deux-guerres.

2. Les représailles du conflit russo-tchétchène ? Le bilan humain des deux guerres est difficilement chiffrable tellement les données sont invérifiables. On estime à 160 000 le nombre total de victimes, dont 60 000 civils, selon les estimations officielles tchétchènes de 2005. A cela s’ajoute un réseau d’infrastructure quasi-anéanti, un climat de terreur qui règne en Tchétchénie et une litanie de violations des droits fondamentaux du peuple tchétchène.

2.1 Un bilan humain et matériel catastrophique Les atteintes aux droits de l’Homme Dans son rapport Fédération de Russie (République tchétchène) : quelle « normalisation » et pour qui ? publié en 2004, Amnesty International déplore les violations des droits des Tchétchènes, atteintes qui vont de pair avec la « tchétchénisation » du conflit : les tortures et les viols se multiplient dans des centres de détention secrets appelés « camps de filtration », de plus en plus d’attentats sont perpétrés par les kadyrovtsy (membres d’un groupe armé obéissant à Ramzan Kadyrov, fils du défunt président tchétchène Akhmad Kadyrov). Les auteurs de ces crimes sont rarement identifiés et encore plus rarement sanctionnés par la justice. Selon le rapport d’Amnesty, « ces violations et ces exactions constituent bien souvent des crimes de guerre » en raison du non-respect des obligations contractées par la Russie au titre du droit international relatif aux droits de l’Homme et au droit international humanitaire (obligation de garantir la vie, la dignité et la sécurité de tout individu). Ravagée par presque deux décennies de guerre, la Tchétchénie est aujourd’hui le théâtre d’une profonde insécurité fondée sur l’absence de tout droit et de toute justice, où les exécutions et les exactions, commis sans fondement, se multiplient et visent aussi bien les hommes que les femmes ou les enfants. La vie quotidienne est ponctuée par les zatchitski (opérations de « nettoyage » menées par les forces fédérales russes), qui ne sont rien d’autre que des rafles pendant lesquelles des Tchétchènes sont arrêtés arbitrairement, sans justification, et qui contribue à la mise en place d’un véritable régime de terreur en Tchétchénie. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné la Russie le 24 février 2005 à la suite de six requêtes déposées par les Tchétchènes. Elle a notamment conclu que les autorités avaient failli à l’obligation de protéger le droit à la vie des requérants et de leurs proches lors de la planification et de l’exécution des opérations militaires. Ces exactions semblent d’autant plus scandaleuses que la Russie ne cesse d’insister sur l’importance que revêt désormais à ses yeux le respect des droits de l’Homme. Une castration politique Moscou a toujours refusé de négocier avec les représentants légitimes du peuple tchétchène. Le président Aslan Maskhadov, élu en 1997, était l’un des leaders les plus modérés et jouissait pourtant d’une assez grande popularité auprès des Russes, condamnant systématiquement les moyens terroristes mis en œuvre par son peuple. En outre, les autorités russes ont cherché à décrédibiliser les indépendantistes tchétchène en organisant en octobre 2003 des simulacres d’élections qui ont mené Akhmad Kadyrov, inféodé à Moscou depuis 2000, à la présidence. L’administration Kadyrov a ensuite entamé une politique de marginalisation d’Aslan Maskhadov en tentant d’obtenir la reddition des ministres et chef historiques de Maskhadov pour les intégrer au gouvernement tchétchène prorusse. Toutefois, cette politique n’a pas affaibli la résistance, en raison de l’absence de légitimité de telles méthodes et de la mort soudaine de Kadyrov lors d’un attentat au stade de Grozny le 9 mai 2004. L’élection présidentielle d’août 2004 s’est effectuée sur le modèle de la première et amène au pouvoir Alou Alkhanov, après l’exclusion de la campagne de son seul rival potentiel (et légitime). A travers une telle politique, qui culmine avec l’assassinat de Maskhadov en mars 2005, les autorités russes déclinent clairement tout dialogue avec les Tchétchènes qui ne leur sont pas favorables. Pourtant, comme le soulignent les auteures de La Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et Tchétchènes dans l’étau de la guerre : « Du choix d’hommes liges comme Kadyrov ou Alkhanov à la fragilisation de la rhétorique de normalisation, les problèmes non résolus témoignent de l’impossibilité de parvenir à une solution durable sans prendre réellement en compte la partie indépendantiste. » La Constitution tchétchène de 2003, quant à elle, prive les Tchétchènes de certaines marges d’autonomie politique garanties par la législation fédérale : ainsi, le président tchétchène peut être démis de ses fonctions à tout moment par le président russe. Le pouvoir tchétchène est donc entièrement soumis à Moscou.

Un chaos économique et social Alors qu’aucune étude approfondie n’a été réalisée sur l’impact économique et social du conflit russo-tchétchène, on conçoit facilement que dix années d’une guerre terrible ont provoqué d’intenses bouleversements démographiques, économiques et sociaux. Les installations industrielles ont été détruites, les champs minés, les infrastructures bombardées. La déstructuration de l’économie favorise le développement d’une économie parallèle, voire criminelle (prises d’otages, ventes de cadavres). Par ailleurs, la santé des Tchétchènes se dégrade fortement : les enfants qui n’ont connu que la guerre souffrent de retards de croissance et de graves troubles du comportement, les conditions sanitaires ne permettent plus de soigner certaines maladies qui, avec le froid, la faim et la misère, affaiblissent considérablement la population. La natalité tchétchène demeure forte, stimulée par la crainte de la disparition du peuple mais selon les études menées par les médecins de la maternité centrale de Grozny, « seul un enfant sur huit mis au monde en Tchétchénie naît en bonne santé, sans carence ni malformation. » (Tchétchénie : dix clés pour comprendre). Du point de vue social, l’émigration s’accompagne d’une émigration des cadres et d’une baisse du niveau général d’éducation avec la destruction des structures d’enseignement et le morcellement de la scolarité, phénomènes qui hypothèquent l’avenir de la société tchétchène.

L’impact psychologique de la guerre La guerre en Tchétchénie se déroule à huis clos, avec un accès très limité des journalistes au territoire. Cette situation est un effet de l’insécurité (dès l’entre-deux-guerres, des journalistes sont victimes de rapts) et surtout du secret organisé par les autorités russes (censure et contrôle des médias). Ainsi, les journalistes ne peuvent se rendre en Tchétchénie que dans le cadre de voyages de presse encadrés par les services de communication russes. La méthode forte est employée contre ceux qui tenteraient de se soustraire à ces contrôles. Cette culture du secret favorise le développement de la propagande et de la désinformation : les combattants tchétchènes deviennent des « terroristes » et des « barbares » qui combattent au nom de l’islam. Quant à la situation en Tchétchénie, on prétend qu’elle est « en voie de normalisation ». L’action des ONG, russes ou étrangères, est également entravée : les personnels humanitaires sont accusés d’espionnage, de collaboration avec les combattants et leurs activités sont soumises à d’innombrables procédures de contrôle. Dès lors, depuis 2005, il n’y a pratiquement plus de présence étrangère en Tchétchénie. L’objectif d’une telle politique de censure dépasse le simple enjeu de la liberté de l’information. Son but est avant tout d’organiser la rupture de la Tchétchénie avec le reste du monde, voire son oubli. De cet oubli participent le déni de la justice, la cruauté des forces armées qui rendent défigurent les cadavres, ou encore les aberrations législatives telles que la loi antiterroriste de 2002 qui stipule que les terroristes doivent être enterrés dans un lieu secret et dans des tombes sans inscription.

2.2 Comment qualifier l’atrocité des forces russes? Il est difficile de définir le type de violence à l’œuvre en Tchétchénie, dans la mesure où le fait même de ne pas les définir fait partie intégrante de la stratégie du silence imposée par les autorités russes, et du refus de prendre parti de la communauté internationale. Les auteures de La Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et Tchétchènes dans l’étau de la guerre affirment ainsi : « la violence des crimes commis contre la population civile est telle qu’une qualification en termes de génocide pourrait être envisagée ».

Crime contre l’humanité ? Le crime contre l’humanité se distingue du crime de guerre, qui est une violation du droit international humanitaire, qu’elle soit exercée contre des civils ou des combattants. Or, le discours russe définit tous les Tchétchènes comme des combattants potentiels dans le cadre d’une guérilla qui ne connaît pas la distinction entre militaires et civils. Mais ce discours est en réalité intenable : l’idée d’une guerre dans laquelle une population entière constituerait une gigantesque armée est absurde ; pourtant, tous les civils, femmes, enfants et personnes âgées compris, sont victimes d’exactions. Le juriste français Antoine Garapon rappelle : « La jurisprudence du Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie (TPIY) déclare que le crime contre l’humanité est constitué […] lorsqu’il vise à miner ce qui est considéré comme les fondements d’un groupe. » Dans le contexte du conflit russo-tchétchène, la question qui se pose est donc celle de savoir si les crimes commis par les forces armées du Kremlin ont pour effet la disparition de la population tchétchène. En théorie, d’après la rhétorique russe, le groupe visé est celui des combattants tchétchènes, mais dans les faits c’est le groupe entier des Tchétchènes qui est touché par les violences, tantôt parce que tout Tchétchène est assimilé à un terroriste potentiel ou réel, tantôt en raison d’une disproportion entre les moyens et les fins de la lutte contre le terrorisme. Dès lors, deux interprétations sont possibles. La première consiste à dire que la disproportion entre les moyens et les fins de la lutte contre le terrorisme montre bien que la menace terroriste n’est qu’un prétexte et que le véritable groupe visé est celui des Tchétchènes dans son entier, dans le cadre d’une entreprise génocidaire. La seconde consiste à penser que les autorités russes en sont véritablement venues à penser que tous les Tchétchènes sont des terroristes et que, de facto, il faut les éliminer : dans ce cas, il y a crime contre l’humanité, d’une part parce que l’assimilation de tout un peuple au terrorisme est excessive, voire absurde, d’autre part parce que dans les faits elle revient à viser le peuple tchétchène dans son entier. C’est dont l’ampleur des exactions commises qui accrédite l’hypothèse d’un crime contre l’humanité, une hypothèse soutenue par l’organisation des droits de l’Homme Human Rights Watch qui dénonce dans un rapport publié le 21 mars 2005 : « des disparitions devenues si fréquentes et systématiques qu’elles constituent un crime contre l’humanité. »

Peut-on parler de génocide ? La notion de génocide suppose une volonté systématique d’éliminer toutes les catégories d’une population (enfants, femmes, personnes âgées…) et implique une distinction nationale ou religieuse. Toutes les conditions ne sont donc pas réunies pour parler de génocide en Tchétchénie : en effet, même si des femmes et des enfants sont victimes d’exactions et d’assassinats arbitraires, ceux-ci ne sont pas systématiques. L’absence de coordination des troupes russes et la multiplicité des acteurs en présence (forces armées russes et tchétchènes, milices, kadyrovtsy…) font douter de l’existence d’un projet global d’élimination des Tchétchènes, même s’il n’est pas exclu que certains souhaitent que la guerre mène à terme à la disparition de ce peuple.

2.3 Les motifs du gouvernement russe sont-ils valables? L’examen des violences exercées contre la population civile tchétchène convainc d’emblée qu’aucune justification ne pourrait les rendre légitimes : les prétextes que donnent les autorités russes sont invalidés par la magnitude des moyens utilisés. Néanmoins, on ne peut comprendre ce conflit sans étudier aussi ces fondements, ne serait-ce que pour s’interroger sur leur légitimité si elles s’accompagnaient de mesures non criminelles.

Que veulent les combattants tchétchènes ? Pour les autorités russes, l’indépendantisme tchétchène menace l’unité et l’identité de la Russie. Se pose alors la question de savoir quelles sont des forces et de la pertinence de la volonté d’indépendance des Tchétchènes. Les revendications d’indépendance se manifestent au moment de l’implosion du bloc soviétique, alors que la Russie est perçue comme une puissance coloniale qui pille les ressources tchétchènes, et ont pour fondement le rejet de la Fédération russe. Or, celle-ci, alors qu’elle accorde l’indépendance aux pays qui composaient avec elle l’URSS, refuse l’indépendance aux républiques se situant à l’intérieur de ses propres frontières, comme c’est le cas de la Tchétchénie : ainsi se déclenche la première guerre russo-tchétchène. L’entre-deux-guerres est marqué par un chaos croissant, qui persuade les Russes que les Tchétchènes ne sont pas en mesure de gérer leur indépendance, d’autant plus que la dépendance économique de la Tchétchénie vis-à-vis de la Russie est manifeste et fait douter de la possibilité d’une émancipation totale. Les divisions intra-tchétchènes qui se manifestent à cette période accréditent également la thèse d’une indépendance impossible. Quels sont néanmoins les fondements de l’identité historique et culturelle tchétchène ? Elle repose sur deux valeurs : la résistance à l’impérialisme russe et la liberté, entendue comme celle d’un peuple tchétchène libérée du joug russe. Cette identité s’est donc surtout construite dans l’affrontement avec la Russie : la difficulté de la colonisation est à l’origine de la représentation russe du peuple tchétchène comme un peuple guerrier et insoumis, et les Tchétchènes se sont réapproprié cette représentation pour en faire une composante de leur culture. De là vient l’exaltation de la résistance : « Les quatre cents ans de la résistance à l’Empire sont régulièrement mis en avant par de nombreux Tchétchènes qui voient aujourd’hui dans l’affrontement avec la Russie une destinée, un trait quasi ontologique et structurant de leur identité collective. » (Tchétchénie. Dix clés pour comprendre). Le fait que la volonté d’indépendance est une caractéristique essentielle de l’identité tchétchène tendrait à montrer que cette indépendance est inévitable. En même temps, cet élément de l’identité tchétchène semble aussi rendre le problème insoluble : s’il laisse penser que la soumission de la Tchétchénie à la Russie est inenvisageable, il compromet également l’espoir d’une paix durable puisqu’on peut penser que la Russie demeurerait l’ennemi principal de la nation tchétchène. L’idée d’une résistance indispensable est renforcée par la mémoire de la déportation en 1944 : sous prétexte de collaboration massive avec les nazis, la quasi-totalité de la population tchétchène fut transportée dans des wagons à bestiaux jusqu’en Asie Centrale, le territoire fut débaptisé et redistribué aux républiques. Ce qui est certain, c’est que plus les affrontements se prolongent, moins il est envisageable de trouver un compromis et d’aboutir à une coexistence pacifique des deux nations. Pour les Tchétchènes, l’émancipation apparaît comme le seul moyen d’assurer la survie de leur peuple.

La Tchétchénie : bouc émissaire pour le terrorisme international ? Pour les Russes, il n’y a pas de guerre en Tchétchénie, mais simplement une « opération anti-terroriste ». Or, cette affirmation ne sert qu’à minimiser la guerre étant donné que la Russie lutte contre une poignée de terroristes (mais s’attaque à la population toute entière). La Russie évite les enjeux historiques, politiques et territoriaux du conflit pour faire de la Tchétchénie un front de la guerre contre le terrorisme. Ce raccourci de jugement nous amène alors à nous interroger sur la place de l’islamisme fondamental dans la société tchétchène et les liens entre le conflit tchétchène et le terrorisme international. Les auteurs de l’ouvrage Tchétchénie : une affaire intérieure ? posent le problème du rôle du religieux dans le conflit : « Le discours officiel russe assimile pour sa part Tchétchènes et terroristes islamistes et attribue la montée du wahhabisme en Tchétchénie à la propagation de ce terrorisme islamiste. » Or, du côté tchétchène, on insiste sur le caractère marginal du fondamentalisme islamiste dans une société traditionnellement soufie. Cet islam soufi, relativement modéré, constitue bien un fondement de l’identité tchétchène ainsi que le moteur de la résistance des indépendantistes tchétchènes à l’impérialisme russe. Cependant, au moment de l’indépendance, le soufisme est en crise suite à la sécularisation de la société qui s’est opérée pendant la Guerre Froide. On assiste alors à un déficit religieux dans les nations qui s’émancipent de la Russie après l’effondrement du bloc soviétique en 1991. Les nationalistes se réorientent alors vers un islamisme plus radical venu des contacts renouvelés avec les pays musulmans. Après la première guerre, les islamistes comptent tirer un profit politique du rôle qu’ils y ont joué, notamment grâce aux fonds reçus de l’étranger. En Tchétchénie, la période de l’entre-deux-guerres est souvent décrite comme le moment d’une lutte d’une part entre le sécularisme de Maskhadov et l’islamisme de Chamil Bassaev, d’autre part entre le soufisme modéré et le wahhabisme radical ; dans ce cadre, il y aurait une alliance entre sécularisme et islamisme soufi pour combattre les courants plus radicaux. La population, quant à elle, se montre particulièrement hostile aux wahhabites, qui s’en prennent à la tradition soufie, fondamentale dans l’identité tchétchène. Mais dans les circonstances de la guerre, on a pu assister à une réislamisation de la société : en effet, dans un contexte de préservation de la nation, les Tchétchènes sont sensibles au fait que ce sont les islamistes qui combattent les Russes. Par conséquent, l’islamisme tend à être intégré à l’identité tchétchène, jouant un rôle de ferment dans la résistance comparable à celui joué par le soufisme. Toutefois, il faut noter que l’intégration de l’islamisme à l’identité tchétchène est uniquement un produit de la guerre, et qu’il serait éventuellement amener à disparaître si la guerre touchait à sa fin. Nous en venons maintenant à la question du lien entre conflit tchétchène et terrorisme international. L’idée russe que la Tchétchénie serait l’un des théâtres de l’affrontement entre l’islam a été repris par les Etats-Unis et le monde musulman depuis les attentats du 11 septembre 2011. Quant aux Tchétchènes, leurs leaders ont parfois tenté, avec un certain opportunisme, de jouer sur le symbolisme religieux et sur les appels au djihad pour se rapprocher du monde musulman. Or, les auteures de Tchétchénie : une affaire intérieure ? réfutent la thèse d’une islamisation du conflit en affirmant : « Si la Tchétchénie est intégrée dans le discours djihadiste, si l’islam est mobilisé dans les enjeux tchétchènes […], cela ne signifie pas que les Tchétchènes se voient comme un front d’une guerre mondiale de l’islam contre l’Occident. » Or, plusieurs arguments s’opposent à la thèse russe. Tout d’abord, la résistance tchétchène demeure liée à des objectifs tchétchènes et n’adopte pas ceux d’une quelconque organisation terroriste islamique : la motivation principale de la lutte tchétchène reste la crainte de la disparition du peuple et ne peut être assimilée à un appel au djihad. De plus, les combattants tchétchènes n’appartiennent à aucun réseau d’islamistes et les combattants islamistes étrangers présents aux côtés des Tchétchènes sont beaucoup moins nombreux que ne le prétendent les médias. Enfin, l’utilisation de méthodes terroristes reste le fait d’une minorité parmi les Tchétchènes. En conclusion, le développement du terrorisme dans le cadre du conflit russo-tchétchène relève surtout du désespoir causé par l’horreur de la guerre ainsi que par sa longueur, alors qu’aucune solution durable ne semble se profiler. Le terrorisme est donc un produit du conflit russo-tchétchène qui se renforce plus la guerre se prolonge. Ainsi, à un mal jugé impardonnable, les Russes répondent par une vengeance démesurée, elle-même suscitant une riposte des Tchétchènes, et ainsi de suite. La communauté internationale peut-elle continuer à tolérer une telle spirale de violences ?

3. Quelles perspectives pour la Tchétchénie ?

3.1 Une lueur d’espoir pour le peuple tchétchène? Tout d’abord, rappelons que toute négociation de paix entre le gouvernement tchétchène et le Kremlin semble peu probable, voire impossible. En effet, malgré les initiatives de paix récurrentes (dont celle, récente, du Comité des mères de soldats russes) et les efforts d’interlocuteurs tchétchènes prêts à négocier, l’intransigeance de Vladimir Poutine et la faible contestation de la guerre dans la société russe éloigne toute possibilité d’un compromis entre les deux pays belligérants. Par conséquent, il semble que seule une intervention extérieure pourrait accélérer le dénouement du conflit. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt important en février 2005 condamnant la Russie dans six affaires concernant des violences commises par l’armée russe en 1999-2000. Tant que la Russie reste membre du Conseil de l’Europe, elle risque de nouvelles condamnations pour les crimes et violations perpétrés en Tchétchénie. Quant à la Tchétchénie, la perspective d’une indépendance demeure toujours lointaine, certes, mais on remarque de nombreuses améliorations dans le quotidien des Tchétchènes. Le climat de terreur semble s’apaiser en raison d’un recul progressif de la présence militaire dans les villes tchétchènes et on remarque aussi de nets progrès économiques, se traduisant par une hausse des revenus et le début de la reconstruction des infrastructures détruites après les bombardements de 1999. Une lueur d’espoir se profile à l’horizon pour les Tchétchènes : après l’anéantissement par les forces russes de la majorité des indépendantistes et l’arrivée au pouvoir de Ramzan Kadyrov, le pouvoir russe a fait d’énormes concessions à celui-ci et au clan qu’il dirige. Des sommes énormes ont été injectées dans l’économie tchétchène pour financer la reconstruction du pays, on assiste au retour de dizaines de milliers de réfugiés ainsi qu’au redressement du système éducatif tchétchène pour compenser les déficits actuels en matière de scolarisation.

3.2 Et l’Union Européenne dans tout cela ? L’OSCE est la seule institution internationale qui a été autorisée à intervenir en Tchétchénie. Ce privilège s’explique par l’importance particulière qu’attache la Russie à cette organisation. En effet, la Russie voulait promouvoir l’OSCE dans l’objectif de lutter contre l’expansionnisme de l’OTAN et de conserver son influence dans les pays de la Communauté des Etats Indépendants. Quant à elle, l’Europe adopte une politique de courte vue quant au sort du peuple tchétchène et ferme les yeux sur des atteintes flagrantes aux droits humains les plus fondamentaux en Tchétchénie. Il convient alors de parler d’indifférence européenne face aux affrontements dans le Caucase. La faiblesse des réactions occidentales s’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, l’ampleur de la puissance militaire russe est sans doute un des facteurs essentiels qui expliquent la réticence des pays européens, craignant plus la déstabilisation de la Russie et du Caucase tout entier que les revendications indépendantistes tchétchènes. En effet, la position actuelle de la politique européenne consiste à traiter la guerre en Tchétchénie comme un problème secondaire. Ce désintéressement expliquerait pourquoi l’Union Européenne n’a jamais vraiment pris des sanctions sévères contre la Russie, malgré les multiples condamnations de la Cour européenne des droits de l’Homme des crimes russes. Pourtant, le conflit en Tchétchénie illustre bien l’écart abyssal qui existe entre la Russie et les principes de respect des droits de l‘Homme, de protection des minorités et des principes démocratiques défendus par l’Union Européenne. Cet acteur d’envergure mondial peut-il rester cantonné à cette politique de courte vue ? La Russie ne cesse de répéter que la guerre en Tchétchénie est une « affaire intérieure » s’oppose, de facto, à toute intervention externe dans le processus de résolution du conflit, et malheureusement il semble que l’Europe semble se contenter des justifications russes pour sa non-intervention. L’Europe doit donc dépasser impérativement ses contradictions particulièrement notoires dans le cas tchétchène, entre un discours européen sur la primauté du droit dans les relations internationales et dans la gestion des conflits armés d’une part et ses intérêts de l’autre : relation étroite avec la Russie, coopération des puissances régionales dans la lutte contre le terrorisme international et accès privilégié aux ressources naturelles de la région. Il y va de la survie d’un peuple qui a perdu un cinquième de sa population en moins de 10 ans sur un total d’environ 1 million de personnes, qui a acquis aujourd’hui la certitude qu’il est la victime d’un «génocide du XXIème siècle» face auquel le silence international et notamment européen pèse lourd.

Conclusion En Tchétchénie, les dégâts des deux guerres et les exactions commises par les deux camps ont laissé de profondes cicatrices. Aujourd’hui encore, le citoyen de base étouffe entre l’enclume des résistants islamistes et le joug autoritaire des forces inféodées à Moscou incarnées par Ramzan Kadyrov, le président élu de la République de Tchétchénie depuis 2007. Confetti de la Fédération russe, la Tchétchénie connaît aujourd’hui une triple précarité. Tout d’abord, les Tchétchènes sont victimes d’une précarité sociale inégalée en Europe : un climat de terreur règne dans les régions partageant une frontière avec la Russie, le conflit a traumatisé le peuple dans son entier et a ruiné le système éducatif de la Tchétchénie qui connaît aujourd’hui un taux analphabétisme sans précédent. A cela s’ajoute une précarité économique qui se manifeste notamment par la mise en place et le développement d’une économie souterraine stimulée par la guerre, ainsi que par le comportement ploutocratique des autorités locales qui exploitent la manne pétrolière de Grozny. Enfin, on peut aussi remarquer une certaine précarité politique en raison de l’illégitimité du pouvoir de Ramzan Kadyrov et de son instrumentalisation de la guerre au profit du Kremlin. Cette instabilité tchétchène passerait éventuellement inaperçue si elle se limitait aux frontières de la Tchétchénie, mais depuis 2007 elle s’est propagé aux républiques voisines (Daguestan, Ingouchie, Karatchaevo-Tcherkessie, Kabardino-Balkarie). Lorsque Vladimir Poutine a adoubé Ramzan Kadyrov après l’assassinat de son père en 2004, il ne se doutait pas que le président trentenaire allait faire plier les rebelles les plus réfractaires. Toutefois, la lutte contre « l’envahisseur russe » se poursuit aujourd’hui, incarnée par l’islamiste Dokou Oumarov qui continue de mener des embuscades à l’extérieur de la Tchétchénie et qui a souligné sa volonté de « se manifester » lors des prochains Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi (à l’extrême ouest de le région caucasienne) en 2014 pour revendiquer la cause du peuple tchétchène Ramzan Kadyrov rêvait de repeupler son pays mais le retour de la diaspora est illusoire, la plupart des Tchétchènes continuant d’affluer vers une Europe passive face aux excès du conflit russo-tchétchène. Pour les Tchétchènes d’aujourd’hui, le souvenir de la guerre reste trop lourd et les perspectives économiques trop sombres pour préférer Grozny à Londres.

Bibliographie
Ouvrages de référence
Amnesty International, Fédération de Russie (République tchétchène). Quelle « normalisation » et pour qui ?, Editions Francophones d’Amnesty International, Paris, 2004.

Antoine Garapon, 2002. Des Crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner. Pour une justice internationale, Paris, Editions Odile Jacob.

Anne Le Huérou, Aude Merlin, Amandine Regamey, Silvia Serrano, 2005. Tchétchénie : une affaire intérieure ? Russes et Tchétchènes dans l’étau de la guerre, Paris, Editions Autrement.

Comité Tchétchénie, 2005. Tchétchénie. Dix clés pour comprendre, Paris, La Découverte.

Julien Mazier et Florent de Bodman, 2005. La Tchétchénie et l’Europe.

FIDH et Memorial, 2000. Tchétchénie : crimes contre l’humanité. Un an de crimes impunis ;

Articles
Kalika Arnaud, 2012. – « Tchétchénie : une approche dépassionnée », Hebdomadaire TTU du 9 mai 2012.

Gauquelin Blaise, 2010. – « Les tueurs du président Kadyrov », L’Express du 2 septembre 2010

Sites Internet http://www.strategicsinternational.com/20_19.pdf http://reveil-des-consciences.over-blog.com/article-27868864.html http://www.fidh.org/Affaire-ISRAILOV http://www.ecologie-citoyenne.org/docs/genocide_en_tchetchenie.pdf http://mobile.agoravox.fr/actualites/international/article/causes-et-enjeux-du-conflit-47753 http://geopolitique2010.over-blog.com/article-tchetchenie-et-russie-histoire-d-une-tragedie-58989425.html http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/deuxieme-guerre-tchetchenie-index.shtml/deuxieme-guerre-tchetchenie-conflit-interminable.shtml --------------------------------------------
[ 1 ]. Processus d’adoption (spontanée, volontaire ou imposée) de la langue russe au détriment de la langue tchétchène.
[ 2 ]. Mouvement religieux et politique saoudien, fondé par Mohammed ibn Abd el Wahhâb (1703 – 1792) et ayant pour objectif de ramener l’islam à sa pureté d’origine.
[ 3 ]. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe est une organisation internationale chargée de faciliter le dialogue et la négociation entre l’Europe de L’Ouest et l’Europe de l’Est.
[ 4 ]. Religieux musulman sunnite qui est un interprète de la charia.
[ 5 ]. Le 8 mars 2005, le chef du FSB (service secret russe, chargé des affaires de sécurité intérieure) Nikolaï Patrouchev annonce que ses forces spéciales ont mené une opération dans le village de Tolstoy-Yurt qui a amené la mort du président tchétchène. D’après les témoignages des compagnons d’armes de Maskhadov, ce dernier aurait été tué alors qu’il préparait un accord de paix avec les autorités russes.
[ 6 ]. Politique instaurée par Vladimir Poutine consistant à nommer à la tête de la Tchétchénie des Tchétchènes fidèles au Kremlin.
[ 7 ]. Le 13 janvier 2009, Umar Israilov, requérant tchétchène devant la Cour européenne des droits de l’homme, a été tué près de sa maison à Vienne après avoir accusé Ramzan Kadyrov de l’avoir détenu illégalement et de l’avoir torturé en 2003.
[ 8 ]. Plusieurs journalistes tels qu’Anna Politkovskaïa et Andreï Babitski, jugés comme “ennemis” de la République par Ramzan Kadyrov, ont été tués dans des circonstances jamais élucidées.
[ 9 ]. Cette même loi permet aujourd’hui aux autorités russes de ne pas rendre le corps d’Aslan Maskhadov à ses proches.
[ 10 ]. Le gouvernement indépendantiste poursuit ses activités après le décès d’Aslan Maskhadov en 2005 sous la direction d’Abdoul-Khalim Saïdoullaïev, un religieux relativement modéré.

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