Introduction

La technique a toujours inspiré à l’homme des contradictions. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, le discours associant le développement technique à l’aliénation de l’homme ne cessera de s’affirmer. Néanmoins, ce développement des techniques renvoie au progrès des sciences, à la mécanisation de l’industrie, avec l’apparition de machines venues se substituer à l’homme. La technique, constituée par un ensemble de procédés bien définis et transmissibles destinés à produire des résultats jugés utiles, sera différenciée de la science. En effet, si cette dernière se rapporte au savoir, la technique pour sa part, est fondamentalement liée à l’utilité. Il convient alors de se demander si le développement de la technique n’est que source de libération ou plutôt instrument d’aliénation ? Nous tenterons d’analyser comment la technique permet aux hommes de transformer la nature en vue de satisfaire leurs besoins. Cependant, ce développement, loin de ne contribuer qu’au bien-être des individus, participe également de leur aliénation, notamment par la capitalisation de la production.

I. L’adaptation de la nature à nos besoins par la technique

A. Technique liée au travail

Dans la mesure où l’avènement des techniques a incontestablement contribué à l’amélioration du quotidien des hommes, on est souvent tenté d’affirmer que la technique est libératrice dans bien des cas. Or, cela conduit à s’interroger sur le rapport entre le travail et le développement des techniques, au cours de l’évolution de la société. Déjà, le mythe de Prométhée que Platon décrit dans son Protagoras, illustre une telle vision libératrice du travail humain grâce aux techniques. En effet, si toutes les espèces terrestres ont été dotées de défenses naturelles (cornes, griffes, fourrure…) par Epiméthée, l’homme, en revanche, n’a reçu de Prométhée que la toison de sa chevelure puisque son frère avait distribué toutes les armes aux animaux. Ainsi, « l’homme est nu, sans chaussures, ni couvertures, ni armes », mais il a réussi à perdurer jusqu’à aujourd’hui. Prométhée, dépossédé des attributs de la force, offrira aux hommes la maîtrise du feu volé à l’Olympe, le dotant ainsi de qualités divines, ce qui lui confère ainsi une place exceptionnelle dans la nature. Il lui donne la connaissance qui lui permet d’accéder aux techniques et, par là même, de travailler, s’affranchissant de sa condition animale. L’homme, bien que bien fait et bien proportionné, fait l’exception dans le règne animal, dépourvu qu’il est de toute forme de défense et ce n’est que par le développement des techniques qu’il parvient à échapper à sa condition naturelle et à se placer au-dessus des animaux

Ainsi donc, Platon établit déjà le lien entre la technique et le travail: sans la technique il n’y aurait pas de travail. Et sans travail, il n’y a pas d’indépendance de l’individu au regard du monde auquel il appartient. Pour parvenir à atteindre cette indépendance, l’être humain doit donc s’attacher à une transformation de la nature afin l’adapter à ses besoins, mais avec comme objectif la conservation de l’espèce.

L’homme a donc recours à la technique et au travail, certes pour survivre, mais cela reflète aussi particulièrement les caractéristiques uniques qui lui sont propres et qui le différencient de l’animal.

B. La technique développe et humanise le travail

Grâce à la technique, le travail est devenue l’activité humaine par excellence. « L’homo laborans », l’homme qui travaille, conçoit une idée avec la pensée, alors que chez l’animal, c’est l’instinct qui agit. Comme le souligne Marx, dans Le Capital, ce que l’homme fait, relève de l’esprit : « il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience », tandis que l’animal n’est pas conscient de ses actions. C’est ce que Hegel mettra également en évidence dans Phénoménologue de l’esprit : l’homme va se distinguer de l’animal et de la nature grâce à l’acquisition de la conscience par le biais du travail. Par la mise en œuvre de moyens techniques, que demande le travail, l’homme s’empare de sa propre liberté et de sa propre existence. Non seulement il se libère des contraintes naturelles (climat, intempéries, froid, nature hostile…) mais il parvient également à assouvir sa faim, en développant des méthodes de chasse et de culture qui le mettent à l’abri du besoin. Il assure sa survie, et par conséquent, celle de son espèce, condition essentielle de la liberté.

Cette liberté/indépendance acquise, il peut s’attacher à améliorer ses conditions d’existence, à savoir, son confort, et tendre vers une existence épanouie, c’est à dire vers le bonheur, qui est l’aspiration suprême de la condition humaine. Par l’acquisition et l’amélioration des techniques, les individus s’affranchissent de la faim, prolongent leur existence (découvertes des maladies, des traitements et des médicaments) et peuvent ainsi se consacrer à la réalisation de leurs désirs ou de leurs rêves, comme celui de voler ou de plonger au fond des mers.

La satisfaction que procure l’assouvissement de ses besoins par le travail est du ressort de la conscience. Par le travail, cette conscience de soi s’extériorise, pour éveiller des sentiments de contentement. Un homme qui satisfait ses besoins est un homme plus heureux que celui qui n’y parvient pas.

Ainsi, l’homme devient indépendant de la nature, où cette satisfaction n’existerait pas, puisqu’il n’y aurait pas de travail accompli dans le but de satisfaire les désirs, cette activité serait donc réalisée de manière instinctive. La technique, source du travail, devient à la fois libératrice par rapport a la nature, mais permet aussi à l’homme de se fonder dans sa propre essence, indépendant.

Cette transformation s’avère donc positive pour l’homme qui, ainsi que l’affirme Descartes dans son Discours de la méthode, doit se « rendre comme maître et possesseur de la nature ». Par la technique, il s’en affranchit, car celle-ci devient un puissant instrument de libération dont il dépend pour améliorer ses conditions de vie. Elle est bénéfique puisque désormais, il cesse d’être soumis à la nature, et c’est lui qui la maîtrise.

Néanmoins, cette maîtrise, cette puissance acquise, bien qu’elle soit source de liberté et d’indépendance, ne suscite-t-elle pas, à son tour, de nouvelles servitudes et de nouvelles dépendances, éloignant l’homme de la nature, alors qu’il en fait partie intégrante, et ne conduit-elle pas, in fine, à la destruction des qualités inhérentes à la condition humaine, à l’aliénation de l’homme?

II. Conséquences destructrices de la technique A. Aliénation de l’homme

Le développement technique, n’a cessé de procurer à l’homme des situations lui permettant de se retrouver de plus en plus libre. Toutefois, la simplification des tâches a fait perdre le caractère humain du travail qui le différenciait que l’espèce animale. L’organisation capitaliste du travail, se définit par une division du travail, consistant en une répartition des tâches de manière spécialisée. Le travailleur, se retrouve à reproduire le même geste à longueur de journée, ce qui ne nécessite aucune aptitude particulière. Ce ne sont que des gestes répétés, qui vont façonner le corps au dépend du rythme de la machine. Cette incompétence requise, va permettre d’augmenter la main d’œuvre disponible, à un coût moins élevé. En outre, la machine remplace à son tour un grand nombre de travailleurs, avec pour conséquence la baisse des salaires et l’augmentation du chômage. (faire une référence au film Les Temps Modernes de Charlie Chaplin qui met en scène cette déshumanisation des ouvriers).

L’homme se retrouve aliéné, car la valeur de ce qu’il produit par son travail est inférieure à ce qu’il reçoit en échange de celui-ci, c’est à dire son salaire. Marx assimile le travail salarié à l’esclavage car, dans les deux cas, la création de valeur est supérieure à la rémunération du travail. Alors que grâce aux progrès techniques, les rendements augmentent, générant plus de bénéfices, tandis que les salaires, en revanche, ne progressent pas.

La Révolution Industrielle, est donc source d’intensification de l’asservissement du travailleur, un paradoxe, puisque, au départ, la technique est associée à une libération mais en générant, tout à la fois, un nouvel esclavage. L’augmentation de la productivité aurait pu contribuer à la liberté du travailleur, il faudrait moins de temps pour produire la même quantité ce qui démontrerai l’aspect positif du progrès technique, mais le réel impact de ce progrès est d’augmenter la productivité dans le même espace de temps. Le travailleur s’implique dans une tâche dans laquelle l’intérêt est moindre. Ainsi comme le disait Marx dans Le Capital : « le mouvement et l’activité du moyen de travail devenu machine se dressent indépendants devant le travailleur », le travailleur ne réalise aucune œuvre qui puisse satisfaire ses attentes. « Dans la manufacture et le métier, l’ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la machine », une phrase de Marx, qui reflète bien la situation où l’ouvrier ne contrôle pas la machine. La technique devient aliénante, et entraîne une diminution des situations demandant de la réflexion.

B. Mise en danger de la nature pensante de l’homme

Ce qui différencie l’homme de tout être, est la domination de la pensée. Cependant, on remarque que le progrès technique, dû à la simplification des tâches, entraîne une diminution du savoir-faire, de la nature pensante, spécifique à l’homme, puisque la machine vient remplacer l’action du travailleur. L’homme n’a plus à réfléchir pour accomplir certaines actions et n’agit plus qu’en recherche d’efficacité. N’ayant plus à penser, à apprendre, il devient par là même, moins savant. La technique met alors en danger la préservation de l’homme, qui devrait être constamment à la recherche de réponses aux questions essentielles de son existence. Ainsi l’être humain se conforme ? (je ne sais pas ce que cela veut dire) à la production puis à la consommation, qui sont devenues preuves de la puissance humaine. Une puissance formée par la quantité de biens acquis. La pensée se construit alors de manière pragmatique, tout se fait pour l’utilité, et la facilité du labeur. Marx, quant à lui, indique que la technique a appauvrit la culture de l’homme, au dépend de sa force de production. Marx affirme dans Manuscrit de 1844 que : « plus l'ouvrier se dépense dans son travail, plus le monde [...] qu'il crée en face de lui devient puissant, et plus il s'appauvrit en lui-même, plus son monde intérieur devient pauvre ». Ainsi l’homme est plus puissant mais moins savant ou compétent. Cette puissance garantit aux hommes un certain contrôle sur la nature, mais l’exercice de celle-ci peut être démesuré, et donc destructeur.

Conclusion

Il apparaît donc contradictoire que la technique, associée à la quête d’une meilleure existence pour les hommes, ait des conséquences destructrices. L’activité technique est, dans son essence, une activité créatrice. Libératrice de la nécessité naturelle, elle permet ainsi à l’homme d’accomplir des activités libres. Mais, lorsque l’homme renonce à toute autonomie, dans ce cas, la technique peut conduire à l’aliénation. Elle ne libère pas l’homme, bien qu’elle lui permette d’acquérir la puissance qui lui confère une certaine indépendance. Cependant, elle engendre de nouveaux asservissements, tels que la recherche du profit ou du pouvoir.

La technique donne l’indépendance mais l’indépendance n’est pas la liberté. D’un autre côté, la technique engendre une nouvelle aliénation dans l’humanité : aliénation sociale dénoncée par Marx (extorsion de plus-value et monovalence du travail), aliénation du rapport à la nature dénoncée par Heidegger (arraisonnement de la nature). Dans les 2 cas, la technique doit susciter de la méfiance, soit qu’elle aliène de fait mais n’est pas incompatible avec une libération future (par l’augmentation même de la technique) - c’est la version marxiste - soit que l’aliénation qu’elle produise soit inéluctable, et qu’elle conduise l’humanité vers son dépérissement toujours crépusculaire, à moins qu’un miracle n’interrompe son déclin - c’est la version heideggerienne
ATTENTION, c’est une partie de la conclusion du Pdf