Free Essay

Religions Et Politique Dans Le Monde, de 1918 Aux Années 1980

In:

Submitted By laugth
Words 6542
Pages 27
Religions et politique dans le monde, de 1918 aux années 1980

Si la Première Guerre mondiale a pu permettre un certain renouveau religieux, après l’armistice les croyants s’interrogent : comment Dieu a-t-il pu permettre de telles horreurs ? L’entre-deux-guerres va donc se situer dans la droite ligne du phénomène déjà observé à partir du XIXe siècle : les sociétés occidentales se sécularisent progressivement, voire même se laïcisent, qu’elles soient de majorité protestante ou catholique. Quant aux pays colonisés, les religions locales se trouvent bien incapables de faire pression sur le gouvernement de la métropole, d’autant plus qu’elles sont souvent occupées à lutter contre les missionnaires envoyés par ces mêmes métropoles. Après l’élection de Jean-Paul II en 1978, ce processus de sécularisation semble s’être généralisé, atteignant aussi les pays du Tiers-monde qui accèdent à l’indépendance. Mais le cantonnement apparent des religions à leur rôle spirituel n’est peut-être pas aussi strict que l’on voudrait le croire : les religieux étant eux-mêmes des hommes, la tentation est grande pour eux d’utiliser ce magistère moral qui leur est conféré pour influencer le cours de la politique. On est dès lors en droit de s’interroger sur les interrelations entre les religions et la sphère politique, à la fois au sein des politiques intérieures et extérieures des États et des mouvements politiques qui traversent les sociétés. Après avoir étudié les moyens très divers d’influencer la politique des États et des nations que conservent les religions dans ce contexte de sécularisation, nous nous pencherons sur les phénomènes d’utilisation du phénomène religieux par certains régimes politiques sous couvert d’une identification entre ces deux domaines (en réutilisant une religion ou en en créant une nouvelle), pour enfin analyser la place des religions au sein des relations internationales, en tant que celles-ci sont un terrain d’action privilégié du politique.

I°/L’indépendance des religions et de l’État : une influence politique multiforme
a) Le processus de sécularisation et de modernisation des sociétés place les religions devant un choix : suivre les évolutions de la société ou tenter de les influencer ?

Le sociologue Max Weber, soulignant la relative perte d’influence de la religion au sein des sociétés modernes, a pu parler de « désenchantement du monde », c’est-àdire la perte progressive d’emprise du religieux sur les conduites effectives des individus, insistant sur sa relégation à l’intérieur de la sphère privée et à la périphérie de la sphère publique. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la plupart des pays occidentaux ont sinon déclaré la séparation officielle de l’Église et de l’État, du moins ont engagé un processus de sécularisation de la politique : - La France a déclaré la séparation de l’Église et de l’État en 1905 (Combes), et s’y est tenue tout au long du XXe siècle : si les relations diplomatiques avec le SaintSiège sont rétablies après 1920 et si l’Alsace et la Lorraine sont toujours sous le régime du Concordat, l’État ne subventionne plus aucun culte (y compris sous le régime de Vichy). En prenant ses distances avec l’Église catholique, l’État perd cependant la possibilité de faire pression sur celle-ci en jouant sur le budget des cultes ou sur les nominations épiscopales. L’Église subit aussi en France une sévère crise des vocations : les séminaires se vident tout au long du siècle.

- L’Allemagne de Weimar déclare dès sa création être un État laïc : sa constitution garantit à la fois liberté de religion et de conscience, interdit toute discrimination basée sur foi, et fait que la religion fait partie de l'enseignement dans les écoles d'État. Mais les Églises peuvent lever des impôts facultatifs (Kirchensteuer) et l’État civil comprend une section religion : l’Allemagne démocratique et laïque (celle de Weimar, puis la République Fédérale d’Allemagne) reconnaît ainsi une place particulière des Églises au sein de la sphère publique, tout en limitant par là même cette influence et en évitant d’abandonner la tutelle financière qu’elle exerce sur les cultes. - Aux États-Unis, la sécularisation est présente dans la Constitution : le XXe siècle a surtout vu le passage d’une neutralité gouvernementale entre religions à une société où la religion en elle-même ne joue pas de rôle public. Ainsi, si le christianisme est présent en permanence dans les institutions américaines, il ne l’est qu’en filigrane : le président a beau jurer sur la Bible et le dollar être estampillé « In god we trust » (depuis Ronald Reagan), toute christianisation de la vie publique est rejetée (ex : dans les écoles). La religion principale aux États-Unis est surtout ce que l’on pourrait appeler une « religion civique » : ce qui importe avant tout c’est de croire en Dieu et au destin de l’Amérique, quelle que soit la religion personnelle de l’individu. John Fitzgerald Kennedy a ainsi pu être élu président bien que catholique (ce qui implique immédiatement des réticences dans l’électorat américain, le Vatican étant perçu comme trop invasif dans la sphère politique). Face à ces situations, au début XXe siècle les différentes Églises chrétiennes se sont le plus souvent opposées de toutes leurs forces aux mesures tendant à dissocier la société (et donc la politique) et la religion. Dans les pays de confession protestante, l’Église demeure ordinairement dans la dépendance des pouvoirs publics, sans que cette subordination ne donne lieu à des affrontements : les religions se sont ainsi vu reconnaître une place dans la sphère publique, bien que cette sphère soit souvent relativement limitée. Dans les pays de confession catholique, l’union entre Église et État s’est le plus souvent prolongée (à l’exception notable de la France) jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, mais une fois la séparation réalisée la religion a pu s’affranchir de la tutelle de l’État, afin d’influencer la politique par d’autres moyens (avec plus ou moins de difficultés : la forte tradition anticléricale française s’est avéré être un obstacle difficile à surmonter). b) Cet éloignement de la religion vis-à-vis de l’État a permis à l’Église de s’inviter dans la sphère publique au travers de partis politiques et de groupes de pression

L’Église catholique, avec l’éloignement vis-à-vis des États qui lui est imposé au XXe siècle, s’affranchit par là même de leur influence et peut en conséquence agir directement au sein même de la bataille politique, par l’intermédiaire de partis chrétiens : l’encyclique Quadragesimo Anno de 1931, en faisant la promotion du corporatisme contre le capitalisme sauvage et le socialisme, légitime définitivement l’action de groupes politiques nés dans l’entre-deux-guerres et qui verront leur influence exploser après la Seconde Guerre mondiale : - Le Sillon de Sangnier, reconnu par Benoit XV en 1916, est à la source de la démocratie chrétienne en France : combinant christianisme, républicanisme et personnalisme, il arrache le catholicisme au conservatisme qui le marquait depuis

XIXe. Le Mouvement Républicain Populaire (MRP) fondé en 1944 est l’expression la plus aboutie de ce courant politique. - En Italie est créé en 1919 le Parti Populaire Italien par le prêtre Luigi Sturzo. Dissout sous Mussolini, ce parti est reconstitué sous le nom de Democrazia cristiana après la Seconde Guerre mondiale avec Alcide de Gasperi comme leader (premier ministre de 1945 à 1953), sous le nom de Parti démocrate-chrétien. - En Allemagne, le parti chrétien Zentrum, a fourni deux chanceliers à Weimar (Brüning et Wirth). Dernier parti à s'opposer au nazisme, il a survécu jusqu'en 1957 : cette présence de près d'un siècle sur la scène politique allemande témoigne de l'acceptation par le système politique d'une intervention directe des Églises dans le processus électoral. Après l’effacement du Zentrum, la Christlich-Demokratische Union (CDU) hérite de cette position de parti chrétien, amenant au poste de chancelier Konrad Adenauer et Helmut Kohl. - Les partis démocrates-chrétiens ne sont cependant pas spécifiques à l’Europe : en Amérique latine, ils ont ainsi été au pouvoir au Chili (après avoir soutenu Salvador Allende, ils sont passés du côté de la dictature d’Augusto Pinochet avant d’être interdits par celui-ci), au Venezuela, au Costa Rica, au Guatemala et au Salvador. Si certains partis politiques ont été créés par des Églises, la démarche la plus fréquente est cependant celle de croyants, plus ou moins épaulés par leurs Eglises, qui veulent intervenir en politique. Les relations entre les partis religieux et les Églises chrétiennes ne sont plus de dépendance, mais d'une autonomie : les élus continuent à s'inspirer de leur foi, mais deviennent des politiciens pour lesquels le pouvoir compte plus que le témoignage. En parallèle à ce développement apparaissent des groupes de pression religieux, plus discrets que les partis : ils cherchent à influencer les décisions politiques en la faveur d’une religion donnée, en se concentrant sur la ou les dimensions qui intéressent le groupe (sans programme politique global). Les plus efficaces ne sont pas les plus bruyants, mais ceux qui sont suffisamment pris au sérieux par les pouvoirs publics pour être consultés avant la prise de décision, c’est-à-dire ceux qui réussissent à se présenter comme représentant l'intérêt général : - Les discussions sur le divorce et l’avortement ont souvent provoqué l'intervention massive de l'Église catholique dans le débat public pour les interdire ou les limiter. Ainsi, l’encyclique Humanae Vitae, émise en 1968 par le pape Paul VI et dénonçant la contraception, a été relayée dans tous les pays catholiques par des groupes comme « Laissez les vivre » ou « SOS bébés » en France. - Les religions peuvent aussi exercer des pressions par l’intermédiaire du syndicalisme chrétien, comme la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) (déconfessionnalisée en 1964 et devient Confédération Française Démocratique du Travail) ou la Confédération des Travailleurs Catholiques du Canada (CTCC), devenu Confédération des Syndicats Nationaux en 1960 (et qui se tourne dès lors vers le nationalisme québécois). c) Les religions nationalistes comme soutien ou armature des mouvements

La religion n’a cependant pas borné son influence sur le politique aux seuls cadres en place : elle a ainsi pu constituer un symbole fédérateur pour les nationalismes, en tant qu’elle est un indéniable vecteur d’identité sociale (enracinant celle-ci dans la tradition et dans le transcendant). Religion et Nation sont ainsi, selon

René Rémond (Religion et société en Europe), les deux types de communauté auxquels les hommes se sont rattachés depuis des siècles, et ne peuvent qu’être liées en ce sens qu’elles transcendent les existences individuelles. A cela s’ajoute le fait que, en période de difficulté, d'oppression, la religion, son lien avec la transcendance et l'éternité, fournit un message d'espoir : si la politique peut écraser actuellement, la religion peut être considérée comme à l’origine d’un salut futur. - Pendant la guerre froide, alors que la Pologne est un État satellite de l’URSS, le cardinal Wyszinski (incarcéré pendant 3 ans par régime communiste puis réfugié à l’ambassade américaine) a incarné la défiance du peuple polonais contre le « Grand frère » soviétique. Les messes constituent ainsi dans les pays de l’Est un moyen d’opposition à l’URSS et aux gouvernements communistes : l’image de Jean-Paul II, de Solidarité et de Lech Walesa communiant avec des milliers de grévistes dans les chantiers navals de Gdansk a porté un coup sévère au régime. - En Irlande, sans attachement à Église catholique, l’intégration au Royaume-Uni aurait été grandement facilitée, même si le nationalisme irlandais moderne pas né de l'Église (il invoque ainsi une Irlande mythique, précatholique). Mais si l’Irish Republican Army (IRA, crée en 1919) utilise un discours proche du marxisme, les manifestations nationalistes comme les actions terroristes ont réussi à projeter une image catholique et ainsi à obtenir le soutien de l’Église (les symboles utilisés rappellent idée chrétienne du salut par le sacrifice, ex : grève de la faim). Si l’Église se méfiait à l’origine des aspects séculiers de ce nationalisme, elle finit par accompagner sa démarche: elle a constaté son succès et a apprécié qu’il face appel à des émotions religieuses et à la martyrologie. - La résistance française sous l’occupation allemande a elle aussi disposé d’une forte composante chrétienne (malgré la complaisance de la hiérarchie à l’égard de Vichy), que l’on retrouvera à la Libération au travers du MRP. Cette imprégnation religieuse est très visible dès la Libération de Paris le 25 août 1944 : un Te Deum est célébré à Notre Dame de Paris. - Sous la domination occidentale, l’Islam se modifie et se teinte de revendications nationalistes, tout en prenant conscience de sa solidarité en face de l’Occident : le mot « panislamisme » fait son apparition au début du XXe siècle. Mais les tentatives turques (sultan Abdul Hamid II) puis de Hussein d’Arabie pour reprendre cet élan s’avèrent vaines : en 1926 le Congrès International du Califat déclare que la charge de commandeur des croyants restera vacante jusqu’à ce que tous les peuples musulmans soient réunis. L’idée califale s’oppose par ailleurs à un puissant courant de laïcisation : Turquie de Moustafa Kemal, Réza Chah Pahlévi en Iran. D’une manière générale, le nationalisme qui ne cesse de s’affirmer à partir des années 1920 est la passion des élites formées à l’occidentale, tandis que le « patriotisme islamique » prédomine dans les masses populaires (éloignées de la politique). Ainsi, hors du cadre politique imposé, la religion peut constituer un vecteur d’identité nationale, un symbole fédérant les énergies vers une direction commune comme l’indépendance (dans les pays colonisés) ou la libération (dans les pays occupés). Les religions peuvent ainsi sortir du cadre strictement politique pour mieux l’influencer par l’extérieur : si par la constitution de partis politiques ou de groupes de pression elles peuvent s’avérer capables d’user du système pour peser dessus directement ou non (étant alors bien souvent récupérées), elles peuvent aussi être à l’origine d’une remise en cause de ce système, en étant un moyen de légitimer des revendications, en forçant en quelque sorte la politique à utiliser a légitimation qu’elle procure.

II°/Les religions comme religion d’État : l’identification entre politique et religion
a) Les religions préexistantes permettant de structurer et de légitimer un régime

Si la religion permet de fédérer et de constituer des mouvements de résistance, de libération ou d’indépendance, elle peut aussi s’avérer être un moyen, pour un régime en mal de légitimité d’assurer son assise. Au cours du XXe siècle un certain nombre de régimes se sont ainsi servi de religions préexistantes afin de légitimer leur prise de pouvoir et leur idéologie, en acquérant une certaine aura sacrée et en se plaçant sous l’égide de la moralité. - L'hérédité permet au successeur de devenir, ipso facto, « défenseur de la foi » (puisque le sacre d’un souverain est en soi religieux) et de légitimer ainsi son autorité si ce n’est politique, du moins morale : le roi Hussein de Jordanie et Hassan du Maroc se sont ainsi largement fondés sur l’aura religieuse de leur position. Le souverain britannique utilise lui aussi, en un certain sens, sa position de chef de l’Église Anglicane pour légitimer son intervention dans certains domaines, bien que ses prérogatives soient limitées au XXe siècle. - L’Espagne de Franco en est un exemple d’utilisation de la religion par un régime autoritaire : le Caudillo, ayant remporté la guerre d’Espagne contre les républicains majoritairement anticléricaux, s’entoure des symboles de l’Église catholique afin de renforcer le culte de sa personnalité (Franco est ainsi représenté en croisé, illuminé par le Saint-Esprit), de légitimer son pouvoir aux yeux des Espagnols, et de se placer dans la lignée des « Rois Catholiques » Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. La tradition catholique permet ainsi au régime de Franco de pouvoir affirmer se fonder sur un ordre transcendant garanti par Dieu, un ordre préexistant à la démocratie qui elle ne se fondait que sur le peuple. L’Église catholique a de plus pris fait et cause pour Franco dès le début de la guerre d’Espagne en 1936, espérant obtenir ainsi place privilégiée dans la société : cela n’a pu que faciliter l’utilisation qu’en a fait le Caudillo, la religion se plaçant d’elle-même en position d’être le ciment de son régime. Avec l’évolution du régime, le catholicisme a perdu son caractère de facteur d'identité nationale tout en restant facteur d’intégration à un régime politique autoritaire. Franco a même pu utiliser l’Église catholique comme moyen de légitimation en dehors d’Espagne : le concordat signé en 1953 avec le Vatican est ainsi un véritable ballon d'oxygène pour un régime largement déconsidéré sur la scène internationale, et qui retrouve par cet accord en semblant de respectabilité. - D’autres dictatures ont utilisé l’Eglise catholique pour trouver une certaine légitimité aux yeux de leurs populations : l’Italie mussolinienne a ainsi été la première à signer un concordat, par les accords de Latran en 1929. Le Vatican renonce alors à toute prétention territoriale, et donc à tout pouvoir d’ordre étatique. En échange, le catholicisme y gagne la place de religion d’Etat en Italie, et une souveraineté indiscutable sur le plan internationale : il est dégagé d’arrière-pensées économiques, puisque dépourvu de territoires à gérer. De nouveaux concordats sont signés avec les pays apparus après le traité de Versailles (Allemagne de Weimar, Pologne). Mais il s’agit là encore plus d’un choix en faveur des dictatures de la part du Vatican que l’acquisition d’une influence réelle sur la direction des affaires politiques

- Mais l’utilisation de la religion par un régime politique autoritaire n’est pas spécifique à la religion catholique, ni même au monothéisme : le shintoïsme d’État a ainsi permis aux militaires nippons de légitimer leur politique d’expansion coloniale du début des années 1930, et leur entrée dans la Seconde Guerre mondiale, au nom de la divinité de l’empereur Hirohito, de l’« ordre céleste » (dans lequel le Japon tiendrait la première place). Seule la prégnance de cette religion dans les mentalités et l’identification du régime à ses principes permet ainsi d’expliquer l’action des pilotes suicides (les kamikazes), et même paradoxalement l’acceptation relativement aisée de la défaite de 1945 : l’empereur ayant admis la défaite, il n’y avait plus à discuter… b) La création d’une religion comme moyen de faire « table rase » du passé

Si la religion s’avérer être un moyen de légitimer un régime, cela est surtout dû au fait que ses racines résident dans la tradition des pays concernés, qu’elle fait appel à l’ordre de la transcendance et qu’elle met en place un culte (une religion sans rites ne créant aucun lien social). Dès lors, un régime se voulant totalement nouveau peut être tenté de créer une nouvelle religion, adéquate à ses objectifs politiques : s’émancipant du poids du passé et des traditions, il conserverait ainsi les avantages qu’il y a à fonder sa légitimité dans l’ordre du transcendant et à organiser un culte (source de mobilisation et de contrôle social permanent). Les régimes totalitaires du XXe siècle se sont ainsi efforcés, à travers la mise en place de « cultes de la personnalité », de pénétrer la sphère privée des individus afin de contrôler les masses par l’intermédiaire de la mise en place de véritables Églises : en faisant table rase des anciens cultes, on laisse la place libre pour une idéologie nouvelle. - Les chercheurs Schneider et Clough ont pu souligner dans Making the Fascists que « le fascisme est une religion authentique » : ayant pour but l’ordonnancement politique d’une société nationale ne se réduisant pas aux individus, le fascisme transforme en valeur éthique et sacrée l’existence même de l’État. « Tout dans l’État, rien en dehors de l’État, rien contre l’État » a déclaré le Duce : la prétention d’un État à coïncider avec la société qu’il recouvre, au point de s’identifier avec elle implique la création d’une nouvelle « religion » permettant de catalyser cette fusion. Cette « religion fasciste » se dote ainsi de grandes messes (« rassemblement » et « comices », grands discours du Duce), d’une hiérarchie (celle de l’État fasciste, avec à sa tête le « pape » qu’est Mussolini), d’une doctrine (la parole de Mussolini). - L’exemple de l’Allemagne nazie est sans doute encore plus flagrant : l’Italie fasciste, ayant signé les accords de Latran en 1929, ne pouvait se permettre d’aller aussi loin. Le remplacement du « Ein Gott, ein Reich, ein Kaiser » de la Première Guerre mondiale par le « Ein Volk, ein Reich, ein Führer » montre bien cette volonté de créer une nouvelle religion, une religion vénérant la « race » allemande ellemême, et par la même occasion l’expression la plus pure qu’en est le Führer. L’État nazi se dote donc d’une doctrine (le nazisme) mais aussi d’une Bible (Mein Kampf), d’une hiérarchie (le NSDAP et le Führerprinzip), d’un prophète (Hitler), de saints (la Wehrmacht), de grandes messes (Nuremberg), d’un catéchisme (enseigné aux Hitlerjugend), et surtout d’une incarnation du mal (les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels). - Le régime étant sans doute allé le plus loin dans ce processus est sans doute le système soviétique : dénonçant les religions préexistantes comme « opium du

peuple » et moyen d’oppression, les Soviétiques vont créer dès 1917 une véritable religion marxiste et athée. Keynes a ainsi pu souligner que « Lénine est un Mahomet, et non un Bismarck » : les Bolcheviks, groupe à l’origine minoritaire, mais très zélé (des « apôtres »…) est ainsi parvenu à « convertir » un immense État à sa cause, par son ardeur missionnaire et ses ambitions œcuméniques, puis à perpétuer cette emprise au sein de la véritable Église qu’a constitué le Parti Communiste d’Union Soviétique. Ici aussi on retrouve un Dieu (« le prolétariat », c’est-à-dire le Parti), une « Bible » (les écrits de Marx, Lénine, Staline), des saints (Stakhanov), des prophètes (Lénine, Staline), des papes (secrétaires généraux du PCUS), des organisations de catéchisme (komsomols), des grandes messes (défilés sur la place rouge), des cathédrales (mausolée de Lénine), une Rome (Moscou, la « Troisième Rome »), un diable (« l’Impérialisme »), etc. Cette « nouvelle religion » a persisté plus longtemps que celle du fascisme ou du nazisme, et les racines des religions précédentes sont vite redevenues apparentes : la Fête d'Hiver avait ainsi lieu au moment de Noël, les cérémonies d'allégeance des jeunes au parti étaient directement copiées sur les cérémonies de première communion. Sur le long terme, cette « nouvelle religion » est apparue comme ce qu’elle était : un simple instrument aux mains du pouvoir politique, et non une véritable religion. c) L’utilisation de la religion par un régime se solde souvent par des persécutions

L’identification d’un État et d’un régime à une religion ancienne ou nouvelle donnée en vue de créer une unité implique l’imposition de cette religion à toute la population, et donc bien souvent la persécution des « infidèles » vus comme vecteurs de dissensions au sein de la communauté nationale et idéologique : la coïncidence entre nation et religion décuple le sentiment national et fait de l’appartenance confessionnelle le critère et le fondement de la société politique. L’antique principe « Cujus regio, ejus religio » continue à régner au XXe siècle dans un certain nombre de régimes politiques : - L’Église russe, compromise par ses liens séculaires avec l’autorité tsariste, va subir dès 1918 une très forte persécution de la part de la nouvelle religion soviétique : radicalement séparée de l’État, elle perd le droit d’enseigner et voit tous ses biens confisqués. Le patriarche Tikhone condamne le bolchevisme, mais essaie de maintenir l’Église à l’écart de la guerre civile. Les milieux ecclésiastiques se divisent entre partisans d’une collaboration avec le régime (Églises « rénovées ») et ceux de l’émigration. En 1923, le Patriarche publie une déclaration dans laquelle il dénonce les agissements des orthodoxes de l’émigration et affirme qu’il « n’est plus l’ennemi du pouvoir soviétique ». Le gouvernement ralentit un peu les persécutions, soutient des mouvements comme la Ligue des Sans-Dieu (1925), puis assimile prêtres et koulaks (80% des prêtres ruraux sont déportés en 1928-1934). Le métropolite Serge, qui succéda à Tikhone, reste dans cette ligne et parvient difficilement à préserver l’existence même de l’Église : l’influence religieuse sur la politique est anéantie, en URSS c’est la politique qui dirige d’une main de fer le religieux. Une action semblable est à remarquer dans la République Populaire de Chine, où les monastères bouddhistes sont mis à sac (d’autant plus qu’ils peuvent être des foyers de revendications nationales, comme au Tibet). - Si l’on considère le nazisme comme une nouvelle religion, le génocide des Juifs peut apparaître comme la persécution d’un peuple-religion totalement extérieur à ce

« culte de la nation allemande » (puisque cultivant sa différence vis-à-vis du reste de la société). Mais les persécutions exercées par le régime nazi ont dépassé le cadre de l’antisémitisme : il s’agit pour Hitler de parvenir à « l’élimination des éléments indignes de vivre », tous ceux qui ne peuvent s’intégrer à la nation allemande telle qu’il la conçoit. Les malades mentaux, les criminels et les porteurs de maladie héréditaire sont ainsi stérilisés dès 1933, des camps de concentration puis d’extermination sont ouverts afin d’éliminer Juifs, Tsiganes, Témoins de Jéhovah, homosexuels, communistes, c’est-à-dire tous les opposants potentiels au nouvel ordre et à la nouvelle religion hitlérienne. L’immense majorité des persécutions religieuses liées à l’identification entre État et religion au XXe siècle ont impliqué les régimes totalitaires et leurs « nouvelles religions », à la fois entre eux et contre des religions plus anciennes (et donc n’ayant pas besoin de recourir à la violence pour convertir les populations et fonder leur légitimité). Mais les conflits armés interreligieux ne se limitent pas à ce cas de figure : le conflit israélo-palestinien, une grande partie des conflits endémiques de l’Afrique sub-saharienne, les frictions entre hindous et musulmans en Inde sont liés à des cadres religieux anciens. Ainsi, au-delà de l’identification entre État et religion, l’identification totale entre nation et religion s’avère être un vecteur possible de persécutions, puisque des différences religieuses ont de fortes chances d’amener des divergences de vues à la fois morales, sociales et politiques : un conflit religieux risque donc d’apparaître si un dialogue n’est pas mis en place, si les fondements non religieux de l’idée d’une nation donnée sont trop faibles, si la religion ne laisse pas suffisamment de place à la politique (qui est « la guerre menée par d’autres moyens », selon le mot de Clausewitz). L’identification totale entre État et religion, entre nation et religion, et entre politique et religion semble donc être vecteur d’effets irrémédiablement délétères : si la religion se doit d’intervenir dans la sphère politique, celle-ci ne saurait se réduire à un simple culte.

III°/Les religions dans les relations internationales
a) Les religions comme voix politique, en tant que force morale Les différentes religions peuvent avant tout influencer les relations internationales en jouant un rôle dans les différentes institutions diplomatiques. Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, Pie XII encourage la fondation de l’ONU et insiste sur le fait que celle-ci doit disposer de moyens de sanction contre les infractions au droit international. Dans les années 1950, le Vatican est nommé observateur permanent à l’ONU, il détient un droit de vote à l’AIEA et à l’ONUDI et est membre des 5 commissions régionales puisqu’il n’appartient pas exclusivement à une région géographique spécifique ; ce statut lui permettant de se placer au-dessus du jeu des forces politiques. Les Nations Unies sont un excellent lieu d’expression de la papauté (qui n’avait pas accès à la SDN, n’étant pas à proprement parler un État), qui peut jouer son rôle de force morale grâce à cette tribune internationale, dénonçant par exemple en 1968 la répression du soulèvement de Prague. Ainsi en 1965 Paul VI y exprime le vœu que l’ONU « reflète dans l’ordre temporel ce que (notre) Église veut être dans l’ordre spirituel : unique et universelle », ce qui montre bien à quel point le Saint-Siège utilise cette institution internationale pour faire entendre sa voix.

De plus, encouragé par Pie XII, le Vatican a contribué à poser les bases de l’unité économique et politique de l’Europe voulue et réalisée par Schumann, dans leur volonté de contrer le communisme à l’est et de ne plus voir se reproduire un tel massacre. Les adversaires de cette politique ont ainsi pu dénoncer une « Europe vaticane ». Le Vatican a ainsi un poids incontestable dans le jeu international. Mais celui-ci n’existe pas en soi, car il n’a aucun vrai poids économique ou militaire : son influence ne se comprend qu’à la lumière de chaque situation où il intervient ; par exemple, son soutien aux différents soulèvements en Pologne contre le régime communiste a eu un fort impact du fait de la nombreuse communauté catholique de ce pays qui lui confère un fort poids moral Les religions peuvent aussi prendre une place importante au-delà de leur place dans les institutions, en prenant part au dialogue entre les États : lors de la Première Guerre mondiale le Pape Benoît XV propose durant tout le conflit une paix blanche sans succès. En 1917 il envoie des propositions concrètes à toutes les bases de négociations : libération des territoires (et des mers) occupés, arbitrage mondial obligatoire (avec sanctions contre les coupables d’infractions), limitation des armements. Ces propositions sont refusées par la France et l’Italie qui considèrent que le Pape tente de limiter les dégâts subits par l’Allemagne. Après la Seconde Guerre mondiale et une longue opposition farouche au communisme, Jean XXIII lance une véritable Ostpolitik avec l’encyclique Pacem in terris, qui ouvre la voie au dialogue avec le communisme. Paul VI continue dans cette lancée, et rencontre 4 fois Gromyko, ministre soviétique des Affaires étrangères : la rapide disparition du bloc de l’Est n’est plus envisagée, et malgré les faibles résultats obtenus de prime abord le Vatican persiste à utiliser les voies de la diplomatie classique. Suivant globalement les orientations du bloc de l’Ouest, le poids du Vatican est lors assez faible : il influence peu de décisions, étant plutôt en position de suiveur. En 1978 l’élection d’un pape polonais modifie cette donne ; Jean-Paul II contribue ainsi dans une certaine mesure à la chute du bloc de l’Est. De plus, le Saint-Siège ne se limite pas aux seuls communistes dans leurs dialogues; l’Église étant entraînée dans un mouvement d’Aggiornamento depuis Jean XXIII. Ses successeurs multiplient les voyages pour prêcher la tolérance entre les peuples, Paul VI se déplace à Jérusalem, où il est le premier pape à y poser les pieds depuis des siècles, et à Bombay, il prononce des discours à l’ONU. Il exécute aussi quelques gestes spectaculaires en entamant le dialogue avec les anglicans, les musulmans, les juifs, Il voyage partout, et surtout dans le Tiers-monde. Socialement, il maintient la ligne de conduite de Jean XXIII. Jean-Paul II se fera même le champion des voyages médiatique, accomplissant 73 voyages hors d’Italie de Janvier 1979 à Juin 1997, avec des dizaines d’États visités. Les religions peuvent aussi jouer un rôle majeur dans la fédération d’une communauté non seulement nationale, mais aussi supranationale, dépassant les frontières étatiques : le Dalaï-lama est ainsi le chef religieux du Bouddhisme tibétain, mais sa personne est aussi l’un des derniers symboles qui soude la communauté tibétaine depuis l’invasion par la Chine et les mesures pour dissoudre cette communauté. Il a donc acquis le statut politique de représentant international du Tibet, dénonçant l’implantation chinoise croissante. L’Islam est pour sa part beaucoup utilisé comme contre-culture mondiale avec l’idée que le Coran contient implicitement les données permettant de combattre l’Occident à armes égales. Si ce mouvement démarre dès 1870 (Djémal ed-Din el-

Afghani), il prend toute son ampleur dans les années 1950-1960 avec la décolonisation et les mouvements des Noirs Américains ; Malcom X prône le retour à l’Islam religion des ancêtres africains. Les mouvements de décolonisation se fondent beaucoup sur l’Islam, le mot « panislamisme » fait alors son apparition. L’islamisme qui apparaît au cours des années 1970 participe de cette même logique, mais poussée à l’extrême, allant jusqu'à renier l’Idéal laïque issu des Lumières. b) Les religions peuvent être sources de tensions politiques internationales Les préférences de l’Église pour certains États peuvent d’autre part attiser certaines tensions politiques : le Vatican soutient certains États, en leur apportant l’appui de la communauté catholique du pays qui permet de légitimer le pouvoir en place ou de remporter plus facilement certaines élections, et en condamne d’autre, ce qui les met en porte à faux avec leur communauté catholique (toujours forte en Europe occidentale) ainsi entre les deux guerres l’Église multiplie les concordats en faveur des dictatures; avec l’Italie en 1929 (accords de Latran) et l’Autriche en 1933, avec l’Espagne en 1953. De même Pie XI appuie les dictatures (Salazar au Portugal, Dollfuss en Autriche, Horthy en Hongrie, Franco en Espagne) par opposition au libéralisme et au communisme. L’Église à l’inverse condamne l’URSS par opposition à la doctrine marxiste, et les régimes de Front populaire français et espagnols pour leur éloignement des valeurs traditionnelles chrétiennes Ces préférences marquées, sans avoir de véritable impact politique dans les relations internationales, n’en vont pas moins dans le sens contraire d’un apaisement. Par ces soutiens différés, on voit déjà par ailleurs se constituer les blocs de la Seconde Guerre mondiale. Les différentes religions peuvent aussi être facteur de discordes dans les relations internationales du fait la volonté totalisante de chacune et leurs accrochages historiques (comme la reconquiesta en Espagne et plus généralement les croisades), ce qui peut perturber grandement l’équilibre politique d’une région ou d’un pays, et ce d’autant plus qu’une solidarité religieuse peut se mettre en place et entraîner d’autres pays dans un conflit. Lors de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan en 1947, une guerre civile opposa musulmans et hindous entraînant la formation de deux pays distincts l’Inde (majoritairement hindou) et le Pakistan (majoritairement musulman), qui se sont fait plusieurs fois la guerre depuis leur création. De même, les conflits israélo-arabes depuis 1948 ont un fondement religieux comme le montre la solidarité des pays arabes (comme la Jordanie, la Syrie, l’Égypte,...) contre Israël. De plus, l’éclatement de la Yougoslavie en 1991 et les guerres qui s’en suivirent ont une racine religieuse puisque les différents peuples sont aussi de confessions différentes: Serbes orthodoxes, Croates catholiques, bosniaques musulmans, chacun réparti dans une République où il était majoritaire et disposant de minorités dans les autres. De plus, on assiste dans cette guerre à une solidarité des pays de confession proche comme la Russie aide la Serbie, la Bosnie reçoit des armes et des combattants de pays islamistes alors même que son Islam est modéré). On peut aussi parler de façon générale d’une recrudescence des tensions religieuses avec le regain religieux des années 1970, et ceci surtout entre les chrétiens et les musulmans (due au succès de la contre-culture basée sur le Coran et son aspect extrême l’islamisme). Samuel Huntington d’ailleurs théorisera ces tensions religieuses dans Le choc des

civilisations. Ainsi malgré la fin depuis des siècles des guerres de religions, celles-ci sont toujours des facteurs de tension sur la scène internationale même si leurs influences ont bien diminué. c) Les limites de l’action des religions à l’échelle internationale La baisse du sentiment religieux parmi les populations des pays développés et même des pas émergents lié au développement de l’individualisme, du consumérisme, c’est-à-dire la sécularisation de nos sociétés modernes fait que les individus se sentent moins contraints par une autorité morale. Or les religions ont comme première fonction un magistère moral, elles jouent sur le plan du bien et du mal ; leur influence dans un tel contexte ne peut que décroître même si cette perte d’influence est différenciée selon les continents (par exemple l’interdiction de l’usage du préservatif par le Vatican est quasiment ignorée par tous les pays catholiques d’Europe alors qu’elle est bien plus respectée en Afrique. Les religions quelqu’elles soient restent un mouvement spirituel, plus ou moins organisé qui poursuit ses propres fins, à savoir pour se perpétuer : garder des fidèles, un pouvoir religieux, des fonds,… Ainsi, ses prises de position ne peuvent pas impliquer la remise en cause de ces buts, ce qui explique par ailleurs la difficulté à l’Église de se réformer. Église prend fait et cause pour Franco, espérant avoir une place privilégiée dans la société, et conserver ses fidèles. De même, la non-dénonciation des déportations par Pie XII durant la Seconde Guerre mondiale est liée à la proximité qu’entretenait l’Église avec ces régimes dictatoriaux auxquels elle était liée par différents accords, passés durant l’entre-deux guerre. Pie XI, violemment anticommuniste, a soutenu des régimes dictatoriaux conservateurs (Salazar au Portugal, Horty en Hongrie et surtout Franco et sa « croisade » en Espagne) et est même allé jusqu’à louer le combat antibolchevique de Hitler en privé. Mit Brennender Sorge fut lue dans toutes les églises d’Allemagne en 1937 : sa dénonciation du nazisme est bien moins virulente que celle du communisme, qualifié « d’intrinsèquement pervers » dans Divini redemptoris de la même année. De plus, le refus de l’Église de condamner officiellement les déportations et les massacres provoque nombre de controverses ; la position morale du Vatican en ressort entachée, Pie XII est accusé de ne pas avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver les prisonniers des camps (dont il connaissait l’existence). La discordance des voix des religions, les problèmes de structurations, leur cantonnement à un magistère moral ont pour conséquence une sorte de domination du politique sur le religieux (du pouvoir temporel sur le spirituel) : les religions on l’a vu ne parlent pas toutes de la même voix, et peu consentent à s’engager en politique (il a fallu attendre que Benoît XV lève le non expedit, interdiction faite aux catholiques de créer un parti qui soit catholique). Leur poids sur la scène internationale ne peut donc qu’être structurellement limité. Ainsi dès la Première Guerre mondiale le Vatican a du mal à exercer son magistère moral, son influence politique diminue : les relations privilégiées entre les Habsbourgs et Benoît XV font que l’on appelle celui-ci le « pape boche » ; ses appels à la paix sont interprétés comme des soutiens à l’Allemagne. Au sortir de la guerre, le Vatican est écarté des négociations de paix, son influence sur les relations internationales est très fortement limitée. De même, une conférence islamique créée à Rabat en septembre 1969 donne une forme politique à l'Umma, la nation islamique

qui englobe tous les croyants. Toutefois, l’aspect politique y domine déjà l’aspect religieux et il reste surtout un groupement d'États. De plus, celui-ci se fera largement éclipser par la Ligue Pan-arabe créée par Nasser en 1945 qui est une organisation politique sans vrai fondement religieux. L’influence des religions est donc limitée par leur manque de structuration ce qui permet bien souvent au politique de les dominer. L’influence réciproque entre religion et politique (et les relations internationales qui en sont composantes) fut donc constante tout au long du XXe siècle, même si les moyens employés ont fortement varié selon les religions, les régimes politiques, les sociétés et les époques. Si la modernité se traduit par la sécularisation des sociétés, force est de remarquer que le religieux chassé du politique y revient par d’autres voies. En revanche le religieux, lorsqu’il intervient dans un champ de nature politique, loin de s’imposer à lui et de le redéfinir de fond en comble, se trouve attiré et manipulé par les forces qui remodèlent sans fin ce champ. Dès lors tout État dit laïc, sécularisé, repose en fait sur une synthèse spécifique du religieux et du politique : l’imbrication du religieux et du politique est constante, car ces deux champs se fondent tous les deux sur les sociétés où ils sont représentés, influençant les mentalités de manières conjointes et étant de même façon influencées par elles en retour. Vouloir séparer politique et religion est comme séparer politique et économie : c'est s'imaginer que l'on pourrait découper la réalité sociale en autant de caissons étanches. Ainsi, une Église qui ne se comporte pas en groupe de pression peut certes faire acte de foi et remplir de joie les intégristes laïcs, elle ne fait pas acte religieux. Un État qui n'a pas de contacts avec les Églises se coupe d'une partie de la société qu'il a pour mission de gouverner. Mais l’identification totale entre ces deux domaines de l’action et de la pensée humaine semble bien ne pouvoir qu’être néfaste au pluralisme, à la démocratie, en un mot à la politique et à la religion ellesmêmes.

Similar Documents

Free Essay

Culture Européenne Sur La Suisse

...La géographie p. 5 2) Les ethnies p. 8 3) Les langues p. 9 4) Les religions p. 10 II- Paramètres politiques p. 15 1) L’histoire p. 15 2) Les institutions p. 22 3) La vie politique p. 28 III- Les paramètres socio-professionnels p. 33 1) La société p. 33 2) Le monde de l’entreprise p. 49 Conclusion p. 54 Introduction Aujourd’hui, dans un contexte de mondialisation, on nous forme à ne plus penser franco-français mais européen, voire même international ; il y a une réelle harmonisation des mentalités. Si les nouvelles technologies permettent de multiplier les échanges et d’effacer les frontières, lors de négociations, se sont des personnes qui interviennent, pas des machines. Ainsi, les hommes d’affaires qui commercent avec des cultures différentes se doivent de les comprendre, afin d’aboutir à de meilleurs résultats. En effet, quelle attitude adopter, quelle manière de penser, de sentir et de réagir au sein d'un groupe humain ; ces critères que ne nous sommes pas à même d’apprécier, si l’on ne se confronte pas à des cultures différentes, au risque de les offenser. C’est dans cet ordre d’idée que certains hommes, tels que l’anthropologue Edward Thomas Hall, ou le psychologue Geert Hofstede, se sont intéressés aux études interculturelles. Nous nous intéresserons plus particulièrement au cas de la Suisse, qui soufre avant tout d’une série de clichés, tels que le chocolat, les montres ou les banquiers austères, bien que...

Words: 27884 - Pages: 112

Free Essay

Citations Historiques

...historiques expliquées Des origines à nos jours E YROLLES PRATIQUE Citations historiques expliquées Des origines à nos jours Dans la même collection : π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π π Petite histoire de l’Inde, Alexandre Astier Comprendre l’hindouisme, Alexandre Astier Communiquer en arabe maghrébin, Yasmina Bassaïne et Dimitri Kijek QCM de culture générale, Pierre Biélande Le christianisme, Claude-Henry du Bord La philosophie tout simplement, Claude-Henry du Bord Comprendre la physique, Frédéric Borel Marx et le marxisme, Jean-Yves Calvez L’histoire de France tout simplement, Michelle Fayet QCM Histoire de France, Nathan Grigorieff Citations latines expliquées, Nathan Grigorieff Philo de base, Vladimir Grigorieff Religions du monde entier, Vladimir Grigorieff Les philosophies orientales, Vladimir Grigorieff Les mythologies tout simplement, Sabine Jourdain Découvrir la psychanalyse, Edith Lecourt Comprendre l’islam, Quentin Ludwig Comprendre le judaïsme, Quentin Ludwig Comprendre la kabbale, Quentin Ludwig Le bouddhisme, Quentin Ludwig Les religions, Quentin Ludwig La littérature française tout simplement, Nicole Masson Dictionnaire des symboles, Miguel Mennig Les mots-clés de la géographie, Madeleine Michaux Histoire du Moyen Âge, Madeleine Michaux Histoire de la Renaissance, Marie-Anne Michaux Citations philosophiques expliquées, Florence Perrin et Alexis Rosenbaum L’Europe...

Words: 48649 - Pages: 195